Interview de Mathilde Grand

Publié le par Michel Lecumberry

  En octobre 2010, la créatrice Hélène Breebaart*1, en marge des défilés de mode avait invité quelques artisans à participer à une exposition sous l'égide de sa fondation "Buscando tu Estrella". C'est à cette occasion, nimbée de l'esprit parfumé du cacao, que me fut présentée Mathilde Grand. Depuis mes premières rencontres avec les amérindiens, au Yucatan il y a près de trente ans, jusqu'à plus récemment chez les Kunas*2 j'ai connu l'importance dans leur culture de ce don essentiel de leurs dieux. Et puis, comme beaucoup d'amateurs, je dois l'avouer j'ai un faible assez marqué pour le bon chocolat noir... Autant dire que la démarche de notre "Miss Cacao" touchait doublement une corde sensible. Avec intérêt, je l'écoutais parler, tellement enthousiaste, de son collectif de femmes Ngäbé Buglé "Citizens of Chocolate" et promettais de répondre à son invitation dans son fief de Bocas del Toro.

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Soirée Hélène Breebaart, Musée du Canal 2010

  Pour le moment, avec regret, le déplacement n'a pu être programmé, toujours partie remise. Mais les rencontres se sont succédées régulièrement, de salons en foires-expositions dans la capitale, au cours desquels Mathilde vient animer avec passion ses "Ateliers Cacao". Tous les participants de 7 à 77 ans, en passant par les pompiers de service, viennent avec joie se colorer les mimines à rouler leur boule de cacao.

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  Nos amicales conversations se terminaient toujours par une demande de ma part: quand viendras-tu parler de tout ça sur le blog? Bientôt, promis-juré! Et le temps passe… Lors de notre dernière rencontre, à l'occasion du Salon du Livre de Panama*3, la promesse se précise: je m'en occupe dès mon retour à Bocas. Alors, "Miss Cacao" se plie de bonne grâce à la traditionnelle interview des rédacteurs nouveaux venus et peu après m'envoie amicalement son importante contribution au blog.

  Merci Mathilde et "suerte" pour "Citizens of Chocolate"!

Notes:

*1- Hélène Breebaart, native de Bordeaux, est l'un des phares de la création de mode au Panama. Sa fondation "Buscando tu Estrella" aide à la promotion d'artisans de talent, indigènes ou pas. Des articles sont prévus.

*2- On peut lire dans le portrait d'Oswaldo de Leon, artiste peintre kuna, le compte rendu de son exposition consacrée au Cacao.de la cosmogonie kuna.

*3- Voir article

 

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Interview

 

Pourquoi et comment es-tu venue au Panama?

  Je suis venue documenter la naissance juridique de la Comarca* Ngäbé-Buglé dans la Province de Bocas del Toro en tant que photographe en 1998-1999.  (* Réserve)

Et pour quelles raisons es-tu restée?

  J’ai fait Lyon, puis Paris. Après je suis partie vivre 11 ans à New York. J’ai fait la rencontre de mon bon sauvagisme au Panama. Je pensais que je ne pourrais jamais vivre sans musées, galeries, théâtres et librairies… mais bon j’ai été scout de France aussi, ahhaha !!! C’était le désir de simplifier sa vie au travers de relations humaines plus justes, plus droites. De m’éloigner du consumérisme. J’ai vite compris que je pouvais m’harmoniser avec l’environnement, donc trouver une base d’harmonie en moi.

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Durant ces années passées ici, quel a été ton plus beau coup de cœur ?

  Ma relation avec la nature et par extension avec ceux qui la peuplent. Beaucoup pensent que vivre sur une île tropicale c’est la Dolce Vita toute l’année. C’est tout l’opposé. Vivre encerclé par la forêt tropicale demande une sacrée dose d’organisation. Quand je suis arrivée, il y a 12 ans, une grande partie de l’activité journalière tournait autour de la collecte de l’eau et de la gestion des inondations ! Ce sont des préoccupations tellement primaires et primordiales que je me suis étonnée de ne pouvoir fonctionner correctement. C’est avec l’aide de la communauté que j’ai commencé à me rapprocher d’une vie rythmée par des activités symboliques… Il y a de cela des milliers d’années nos ancêtres organisaient leur survie dans la nature et commençaient à se socialiser autour du feu, moi je me suis rapprochée du sacré dans le quotidien avec l’eau. C’est plus qu’un coup de cœur… c’est une aventure humaine transformationnelle que m’a donné en cadeau le Panama.

Et, par contre, y a-t-il, un coup de gueule que tu aurais aimé pousser ?

  Oui, et que j’aimerais encore pousser! C’est le désastre de l’éducation publique (et même du secteur privé) du Panama. C’est d’une tristesse accablante, ce sacrifice systématique de génération. L’inégalité des opportunités, le manque de préparation du corps enseignant, des écoles sans eau courante et sans évacuations des eaux noires. Dans la partie du Panama où je vis, il y a des enfants qui font trois heures de marche à pied pour se rendre à l’école tous les jours, qu’il vente ou qu’il pleuve des trombes d’eau. Et parfois à l’arrivée aux portes de l’école ils sont dûment renvoyé chez eux, parce qu’ils n’ont pas les chaussures d’écolier adéquates, ou que leur chemise a une tache. C’est inhumain de faire cela à un enfant qui met tant de détermination à apprendre, à vouloir s’éduquer.

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Que dirais-tu à un ami pour l’inciter à venir passer des vacances au Panama ?

  D’être amphibien, ahaha !!!  Les gens se plaignent tout le temps qu’il pleut, mais peu savent que les écluses du canal, par exemple, fonctionnent uniquement avec de l’eau douce. Donc cela a son utilité! Le Panama s’est doté depuis les années 70 de trois Comarcas officielles (réserves). C’est une rareté sur cette planète. Je pense que la rencontre avec l’indianité reste le plus grand point d’attraction du Panama. L’accès aux cultures originaires se fait avec grâce. On est moins dans le paupérisme extrême et la misère humaine de peuples laissés à l’abandon comme on peut le voir si souvent au Guatemala, au Nicaragua, au Honduras, et même en Equateur et aux Etats Unis. Et enfin la diversité dans les paysages, la faune, la flore. Deux océans, la montagne, la sierra, la forêt tropicale, les archipels, etc.

Quel est ton point de vue au sujet du développement du tourisme au Panama ?

  Le développement du secteur touristique au sein d’économies si ostensiblement à deux vitesses comme au Panama est toujours teinté d’amertume. Le tourisme durable au Panama est quasi inexistant. Le Ministère du Tourisme du Panama (ATP) n’a aucune intention d'apporter son aide à ce secteur. Ce qui existe par contre ce sont des actions individuelles réalisées tant par les nationaux que par les étrangers et c’est sur eux qu’il faut porter son attention. Le devoir du voyageur/touriste au Panama c’est de sortir des sentiers battus et de se lancer dans cette chasse aux trésors qu’offre le pays tout au long de la panaméricaine. Le côté génial du Panama est que tout est relativement accessible de par sa taille mais aussi grâce à un réseau routier hérité de l’époque américaine. Le Panama reste un des rares pays où tu peux encore faire un road trip à la Kerouac.

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Hélène et Mathilde. Atelier Cacao à Expogreen 2011

Si tu quittais un jour le Panama, trois images que tu emporterais dans le cœur ?

  1)  Les plages sans fin de Kusapin et ses pêcheurs s’acharnant à passer la barrière de corail.

  2)  L’effervescence de la Coca Cola durant le déjeuner dans le Barrio Santa Anna à Panama Ciudad.

  3)   Les plantations de cacao ombragées au beau milieu de la forêt tropicale.

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