Kunas du Panama, organisation sociale

Publié le par Michel Lecumberry

  La vie communautaire tient une grande place dans le quotidien des Kunas, dans chaque communauté, elle est régie par le "Congreso". Celui-ci est dirigé par des Sahila, que l’on peut considérer comme des chefs coutumiers. Grâce à leur sagesse reconnue, ils vont aider les villageois à régler les problèmes quotidiens mais leur fonction première est de transmettre la tradition. Celle-ci  se transmet oralement de générations en générations depuis des siècles, pour ne pas dire des millénaires, par des chants psalmodiés. Le Sahila premier est donc le chef spirituel et coutumier du village, il est assisté d'autres Sahila. Leur nombre varie suivant l’importance des villages, mais aussi en fonction de leur niveau de "traditionalisme". Un village moyen de cinq à huit cents habitants compte généralement trois sahila, mais par exemple à Mamitupu, village très traditionnel, ils sont actuellement neuf pour une population de quelques mille villageois.

  Ces caciques sont choisis par les habitants en tenant compte de leur sagesse et de leurs grandes connaissances des traditions et de la culture du peuple Kunas. Avant qu'ils puissent postuler, ce savoir leur a été transmis par d'anciens Sahila au cours de nombreuses et longues séances d’apprentissage de chants psalmodiés.

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  Pour parfaire la sauvegarde de la tradition et étudier son adaptation au monde moderne les Sahila se réunissent plusieurs fois par an au niveau du district et deux fois par an au niveau de Kuna Yala pour des "Congreso General de la Cultura".

  Il est fréquent aussi qu'un ou deux Sahila viennent en visite dans un village. Ces jours-là, si vous passez près de la Maison du Congreso, vous entendrez ces chants psalmodiés qui se transmettent des uns aux autres.

  La langue Kuna n'étant devenue une langue écrite que récemment, la tradition s'est transmise oralement au travers de ces chants et de quelques écrits les transcrivant sous forme de suites de petits dessins symboliques faisant penser à des hiéroglyphes.

  Chaque jour, vers dix-sept heures, les villageois se réunissent dans la maison du Congreso. Au centre de celle-ci, assis à califourchon ou étendus sur leurs hamacs, les Sahila vont régler de façon démocratique les problèmes courants du village. Ils vont proposer une solution qui leur semble sage et conforme à la tradition. Toutes les personnes présentes, hommes ou femmes, peuvent donner leur avis avant qu'une décision quasiment unanime soit prise après de longues palabres*1. Elle sera confirmée par les Sahila. Pour ce qui concerne la vie quotidienne, ils sont assistés de nombreux responsables: Chef des maisons, Chef du cimetière, Chef des cocoteraies, Chef du bois mort, etc. Ce sont eux qui vont désigner les travaux communautaires à effectuer, la date et les hommes qui en seront chargés.

  Au cours de ces réunions seront aussi résolus les petits litiges entre villageois et, si nécessaire, on jugera les bêtises commises par tel ou telle. Les cas graves sont très rares, les sanctions pouvant atteindre l’exil temporaire sur une île déserte ou l’exclusion de la communauté. Chaque Congreso fait respecter les règlements qu’il a définis pour son propre village.

  Suivant les communautés, deux ou trois fois par semaine, à la demande du Sahila, un Suar Ibgana passe dans le village en faisant sonner une cloche, comme avec son tambour l'ancien Garde Champêtre de nos campagnes. Cela signifie que toute la population adulte est convoquée à la séance du soir, la présence est obligatoire, le Secrétaire notera les absences, gare à la multa ! (l'amende)

  Lors de ces cérémonies les Sahila vont psalmodier leurs chants traditionnels très anciens: la religion animiste, le respect de la nature et le civisme en sont les sujets essentiels. Ils sont incompréhensibles pour la population actuelle. D’une part la langue est très ancienne et n’a pas évolué comme le langage courant et d’autre part ces textes sont ésotériques et fleuris de métaphores. 

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  Pendant la prestation on papote à voix basse, les femmescousent leurs molas à la lueur de petites lampes à pétrole et les enfants jouent entre les rangées de bancs. Il faut dire que la mélopée est un peu soporifique, elle peut durer plus d’une heure... Lorsque le chant prend fin, il va falloir qu'un autre personnage très important du Congreso, debout près des hamacs occupés par les Sahila, fasse une traduction résumée des passages importants. C'est le Argar, véritable "conservateur" de la tradition kuna. Il connait tous les chants mais ne désire pas passer son temps à administrer un village, préférant étudier inlassablement la culture kuna.

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  Lors de son intervention, ceux qui faisaient du bruit, ceux qui somnolaient ou n'écoutaient visiblement pas, sont rappelés à l'ordre par les Suar Ibgana. Ils veillent à chaque coin de la grande hutte, armés de leur canne sculptée et de leur voix autoritaire.

  Ces réunions qui commencent à dix-sept heures peuvent durer assez tard dans la nuit. Ce sont elles qui ont dû, depuis des millénaires, cimenter la cohésion et la force du peuple Kuna qui, pour paraphraser le titre du livre de James Howe*2, ne s’est pas agenouillé.

 

Notes:

*1- dans le sens "africain" du terme

*2- James Howe, professeur d'anthropologie au Massachusetts Institute of Technologie. Etudie le peuple kuna depuis 1970. A publié plusieurs livres sur le sujet et en 2004 parait "Un pueblo que no se arrodillaba" (trad. Un peuple qui ne s'agenouillait pas) avec en sous-titre: "Panama, les Etats Unis et les Kunas des San Blas".

 

Photos:

1/ village de Yandup, Sahila Premier Horacio Barsallo (à droite) et le Sahila second. (février 2002)

2/ village de Yandup, Sahila Premier Horacio Barsallo (à gauche) et un de ses amis Sahila de Muladup en visite (avril 2003)

3/ la mola d'une mamie

4/ les lampes à huile, utiles pour coudre dans la pénombre de la Maison du Congreso

5/ pommeau d'une canne ancienne de Suar Ibgana

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