Interview de Christophe Henry
J’ai rencontré Christophe pour la première fois, il y a cinq ans, sur la place de l’église de Portobelo. Je traverse la place, décontracté, venant de faire quelques achats chez le "chinois" du coin, quand une voix bourrue me sort de mes musiques intérieures:
- c’est toi qui va me faire concurrence ici ?
Je venais de publier mon petit livret "Portobelo, les vieux canons racontent…" et l’agence de voyage pour laquelle il faisait des accompagnements venait sûrement de l’informer de ma future collaboration avec elle.
-houlà là … surprise et inquiétude. Mais aussitôt perçu le sourire malicieux niché dans son regard, je compris que l’homme, pince-sans-rire, devait aimer manipuler l’humour à froid. Un premier café partagé, une photo aérienne de Portobelo offerte, "tu peux voir votre maison, ici…", la complicité immédiate s’installe.
Depuis, notre amitié résiste à ses attaques taquines sur le peuple de mes origines. Comme grâce à lui, je me suis mis à aimer l’histoire de ce pays d’adoption, je peux maintenant lui répliquer en évoquant simplement quelques figures historiques de même provenance : Andagoya, Arosemena, Araúz et bien d’autres, chapeautant la litanie par le coup de grâce : Bolivar. Alors le bordelais reste coi ! Et nous rions.
Christophe, ami, merci de venir partager ici ton grand savoir et ton amour du Panamá.
Interview
Pourquoi et comment es-tu venu au Panama?
J'ai rencontré une panaméenne, hors de son pays et hors du mien, avant de rencontrer le Panama. Nous nous sommes mariés en France où nous avons vécu une douzaine d'années avant de recevoir un jour - le même jour- deux nouvelles, une pour moi et une pour elle. La mienne disait que j'étais licencié pour raison économique; la sienne était un appel pressant, angoissé de sa maman -87 ans à l'époque- qui ne voulait pas mourir sans passer un peu de temps avec sa fille préférée.
Donc, exit to Panama avec les deux chats.
Et pour quelles raisons es-tu resté ?
Avant tout pour la promesse faite à Gloria, mon épouse, d'accompagner la maman jusqu'à son dernier jour. En attendant -le mot n'est peut-être pas bien choisi- j'ai découvert un pays où l'impression de portes closes, de projets impossibles à réaliser existait beaucoup moins que dans mon pays natal. J'ai pu ainsi, en ne faisant appel qu'à ma motivation et à mon goût de l'auto-formation, pratiquer des métiers (en autres photographe aérien et guide en tourisme) sans être confronté à des exigences de diplômes et autres tracasseries administratives.
Durant ces années passées ici, quel a été ton plus beau coup de cœur ?
C'est un coup de cœur qui dure encore. Il s'agit de l'étonnant patchwork de races et de cultures, et comme une soupe en perpétuelle ébullition le métissage incessant de ces races et cultures que je vis comme un spectacle permanent.
Et, par contre, y a-t-il, un coup de gueule que tu aurais aimé pousser ?
Sans hésiter ça concernerait d'une part, la corruption, l'égoïsme, l'hypocrisie, le cynisme des classes dirigeantes, et d'autre part l'incroyable passivité du peuple.
Que dirais-tu à un ami pour l’inciter à venir passer des vacances au Panama ?
Rappelle toi que tu es toujours bienvenu chez nous. N’hésite pas à programmer plusieurs séjours car il t'en faudra plus d’un seul pour découvrir que chaque province et territoire indigène est un pays à l'intérieur du pays, avec des peuples, coutumes, paysages et même des climats si différents les uns des autres.
Quel est ton point de vue au sujet du développement du tourisme au Panama ?
Les décideurs panaméens ont imprégné de leur personnalité le concept tourisme qu'ils ont pondu. Centres commerciaux, casinos, hôtels de luxe, plages de sable (toujours blanc), placement d'argent (profitez en en passant).....sont les maîtres mots utilisés pour attirer le touriste.
Nature, cultures, beautés paysagères, artisanat, sites historiques...ne sont évoqués par eux uniquement quand le mot est devenu à leur insu, porteur et prometteur de business juteux.
Il manque donc la vision qui englobe l'ensemble du potentiel patrimonial pour assurer un développement touristique comparable à celui du Costa-Rica.
Si tu quittais un jour le Panama, trois images que tu emporterais dans le cœur ?
- la féminité des indiennes embéras
- des tronçons de chemins coloniaux perdus dans la brousse
- l'oiseau quetzal à 6h du matin dans les hauts de Guadalupe