Oswaldo De Leon Kantule, artiste peintre kuna

Publié le par Michel Lecumberry

  La galerie d’art Juan Manuel Cedeño, située dans le Casco Antiguo de Panama, présente depuis le 4 octobre les dernières œuvres de l’artiste peintre kuna Oswaldo De León Kantule. J’ai rencontré Achu*1, c’est son surnom, à plusieurs reprises mais je n’ai jamais eu le bonheur de l’écouter parler de ses sources d’inspiration devant ses tableaux. Cette fois, je ne veux pas manquer cette opportunité, ses séjours à Panama sont toujours très courts, appel téléphonique : - "je repars chez moi au Canada dans deux jours, si tu veux demain je viens à la galerie, nous aurons un moment tranquille". Ne pas manquer ce plaisir, alors, hop, aller-retour à la capitale !

nele-pescando-toxinas-con-la-ayuda-de-mujeres-cacaoLe Nele pêche avec l'aide des Femmes Cacao

  Accueil chaleureux, entretien amical et détendu en perspective, Achu sait mon attachement à son peuple et à ses traditions. La première question concerne ses origines et sa petite enfance. Né en 1964 dans une famille nombreuse de Ustupu*2, "J’ai trois sœurs et six frères, Papa était constructeur, il bâtissait des écoles, des bâtiments et des quais pour les bateaux, Maman s’occupait de la maison". Tout jeune il aime déjà dessiner et peindre. "A huit ans, mon instituteur s’étonnait qu’à l’opposé de tous mes petits camarades qui dessinaient ce qu’ils avaient devant les yeux, les arbres, les paysages ou les animaux, moi je peignais ce que me montrait mon imagination qui se référait souvent à la tradition spirituelle de mon peuple".

semilla-del-arbol-cosmico                      La graine de l'arbre cosmique

  Mais d’où te venait cette connaissance des traditions, étais-tu un futur Nele*3? Le visage rond s’éclaire, les yeux de charbon malicieux animent un large sourire - "Non, non, mais j’avais un grand père Nele Kantule*4 et un arrière grand-père Sahila*5, je m’imprégnais de leurs paroles. Mon père aussi savait beaucoup de la Tradition". Oswaldo a quinze ans quand il quitte Ustupu pour étudier à Panama, il se souvient qu’au début ce ne fût pas facile, ne pratiquant pas bien l’espagnol il se retrouve un peu perdu. Après ses études secondaires, il est attiré par l’architecture mais écoute des personnes qui lui déconseillent cette voie et se tourne vers l’architecture d’intérieur qu’il étudiera à la Faculté d’Architecture de l’Université de Panama – "Cela m’a appris à harmoniser les couleurs et les volumes, c’est à ce moment là que je commence vraiment à peindre, à pratiquer l’aquarelle". Autodidacte, il s’inspire à l’époque de la technique des molas, utilisée encore parfois dans ses œuvres plus récentes pour accompagner les symboles de la tradition kuna, l’essence même de son travail.               

  C’est vers 1996 que l’artiste peut se consacrer exclusivement à sa peinture et commencer à en vivre. Les expositions vont commencer à se succéder. A Panama, Oswaldo rencontre une canadienne qui deviendra son épouse. Il précise, avec un sourire complice qui finit par se diluer dans un éclat de rire, - "Tu vois là aussi j’ai bien appliqué la tradition kuna, j’ai suivi ma femme pour aller vivre chez ma belle mère".

  2000/2002, séjour de la petite famille à Cuba, un fils naîtra sur l’île. La rencontre avec des artistes cubains ouvre de nouveaux horizons à Achu. "La fréquentation d’amis peintres canadiens m’avait permis d’améliorer ma technique, à Cuba j’ai découvert qu’il n’y avait pas que la toile classique pour s’exprimer. Les cubains m’ont appris à utiliser comme eux toutes sortes de supports, tout est bon pour leurs créations !"

cimaise

  Le moment tant attendu arrive, ensemble nous allons faire le tour des cimaises. Le thème des dernières créations est résumé par le titre de l’exposition: "Esprit du Cacao" (Buna Geliggua Burba). "Buna Geliggua, c’est le langage cérémonial des kunas qui se réfère au cacao, une plante de la plus grande importance puisqu’aucun rite ne se célèbre sans elle. Dans notre imaginaire le cacao s’est aussi la femme. J’ai exprimé par ma peinture le pouvoir du cacao connu de mon peuple, depuis son arrivée sur ces terres, pour ses vertus thérapeutiques, spirituelles et nutritives". Toutes les parties de la plante, les graines, les branches et les feuilles, sont utilisées par les kunas pour soigner. On fait sécher les graines au soleil et le Nele chante pour "réveiller" l’esprit du cacao. Ensuite, on les fait bruler dans un mortier cérémonial de terre cuite (Sianar), le bain de fumée fait transpirer abondamment le malade, signe d’expulsion de la maladie. On prépare aussi des boissons revigorantes à base de cacao, parfois mélangé à des bananes plantain ou à du jus de canne à sucre. Par cette série de tableaux, très sensibilisé depuis quelques années par la destruction du milieu ambiant par l’homme, Oswaldo pose une question : "Le cacao, qui peut guérir l’être humain, peut-il être capable de guérir notre société et notre mère nature qui sont malades ?"

achu1                    

  Devant chaque peinture Achu m’indique son thème, la signification de telle ou telle couleur utilisée et détaille les symboles représentés, mêlant la tradition de son peuple à son propre imaginaire, fertile et poétique s’il en est. Les mots se perdent parfois dans le rire ou dans l’émotion. "Un jour, alors que chez nous les Kunas, tu le sais, les filles sont les seules à hériter, j’ai dit à mon père : moi aussi je voudrais un bout de l’héritage, stupéfait il m’a répondu : - "mais je n’ai rien pour toi !" et comme s’il s’adressait à son père, Achu me tapote la tempe "je veux que tu me laisses ce que tu as là dedans, ce sera mon héritage". Il lui offre alors un gros cahier de grandes pages blanches, restitué deux ans plus tard débordant du savoir de son géniteur. Véritable bible des traditions kunas. "C’est pour moi la source de mon inspiration, y plonger est devenu une véritable drogue, je ne puis m’en passer. Et cela m’a inoculé un virus : la recherche de documents concernant la tradition kuna. J’accumule tout ce que je trouve en espagnol, en anglais ou en français. Je recherche les livres, les publications universitaires et maintenant les articles sur Internet. Oui, comme une drogue…"

  Avant que je ne laisse Achu à ses dernières heures panaméennes, j’aurai droit à une petite confession intime, "Ma femme me reproche souvent de ne plus avoir assez de temps à consacrer à ma famille. Je gagne mon atelier tous les matins à huit heures, et c’est vrai que si elle ne venait pas m’en sortir vers cinq ou six heures du soir j’avoue que j’y resterais beaucoup plus longtemps…" Un rire, comme pour estomper le sérieux de l’aveu, engloutit la fin de sa phrase mais se fait vite grignoter à son tour par une belle émotion. Un soupçon de justification ? Oswaldo De Leon Kantule ajoute : "Tu sais, mon Papa est âgé de quatre vingt quatorze ans mais il a tenu à venir pour le vernissage de cette exposition et à la fin de la visite il m’a dit : Achu, je suis très fier de toi…"

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                    Nudsugana communiquant avec les Alliés

 

Notes

 

*1- Achu (se prononce atchou) signifie le chien en langue kuna

* 2- Ustupu (etym. Ile des lapins) est situé à l’est de Kuna Yala. C’est le village le plus peuplé avec 8000 habitants. Ici est né Iguaibilikinya, plus connu sous le nom de Nele Kantule, un des deux leaders de la révolution du peuple kuna en février 1925 qui leur permit d’obtenir un statut d’autonomie au sein de la République du Panama.

*3- Le Nele c’est le shaman des kunas. Le Nele Kantule est appelé aussi Igar Wisid, il intervient par des chants psalmodiés auprès des esprits pour obtenir la guérison du malade. (voir : médecine)

*5- Le Sahila, chef coutumier d’un village. Ils sont généralement 3 ou 4 par village. Parfois plus. (voir : organisation sociale)

 

Le site Internet d'Achu:  www.deleonkantule.net

 

 

Publié dans Portraits

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