Présence de Huguenots Français chez les Kunas du Panama au XVIIème siècle (1ère partie)
Suite aux messages de quelques lecteurs attentifs de ce blog, qui me demandaient des précisions sur la présence de Huguenots français chez les Kunas évoquée dans l'article consacré aux molas, je ne pouvais mieux faire que de me tourner vers un "ex-panaméen d'adoption" et néanmoins ami, j'ai nommé Jean-Christophe Henry. Ses contributions dans ce blog, malgré son exil vers son Médoc natal, restent des références toujours aussi appréciées. Je viens de recevoir sa réponse et vous livre aussitôt ce magnifique éclairage historique:
Cher camarade,
J'ai essayé de faire le ménage dans ma tête pour répondre au mieux à tes questions sur la présence de Huguenots français dans le Darien au 17ème et 18ème siècle.
Suite aux guerres de religion, grosso modo un million de protestants auraient quitté notre pays pour sauver leurs vies. A titre indicatif, la France comptait à peu près 20 millions d'habitants en 1680.
Les quelques monarques qui ont géré ce tragique épisode ont tous tenté (en sous-main, pourrait-on dire) de réduire les massacres. La déportation d'un millier d'entre eux aux Antilles après 1685 - date de la révocation de l'Edit de Nantes - peut être interprétée comme une mesure de protection car le choix était simple: la mort - causée par des extrémistes catholiques hors de contrôle - ou la déportation.
J'ai volontairement choisi cet exemple car "nos" Huguenots du Darien sont issus de cette déportation aux Antilles d'où ils se sont évadés pour se réfugier au Honduras et au Panama. Panama dès 1690. Panama, où d'autres familles coreligionnaires venues de la métropole les rejoindront plus tard.
Les premiers arrivants s'installent à Concepción -un ancien poste militaire abandonné par les Espagnols- situé au sortir du Golfe d'Urraba, sur le flanc ouest et aujourd'hui placé en territoire colombien. Ils s'éparpillent peu à peu vers l'ouest, sur la zone côtière, probablement jusqu'à Careto qui se trouve aux environs immédiats de New Calédonia, puisque les colons écossais signalent leur présence.
Les Écossais, (mal) installés depuis 1699, disent qu'ils sont au nombre de 800. C'est beaucoup trop! Il faut préciser 800 européens car lors de leur arrivée, la région est déjà occupée par une forte communauté de flibustiers et boucaniers majoritairement Anglais et Hollandais avec qui les relations sont excellentes.
Comment s'appelle ce très bon historien panaméen dont l'épouse est directrice du Musée du Canal? Il a longtemps traîné dans les Archives nationales de Bogota et c'est lui qu'il faut suivre quand il parle de 204 Français huguenots*1.
Je me souviens d'un document espagnol intéressant - il s'agit d'un Traité de Paix signé en 1741 - qui mentionne sur le lieu et alentours de la ratification, l'existence de 61 familles franco-tulé (tulé = kuna). Ce mot "famille", il faut l'entendre dans le sens chrétien du terme car "nos" Huguenots ne font pas dans le tourisme sexuel et nous avons affaire là à de vrais mariages consacrés par l'Église réformée.
Pendant une soixantaine d'années ce cosmopolite mélange de Kunas, Anglais, Hollandais et Français va très bien fonctionner. Pour des raisons différentes, ils ont en commun la haine des Espagnols. Nous savons qu'ils ont attaqué ensemble et avec succès les mines d'or de Cana situées en plein cœur du Darien. Tout laisse à penser que nous avons affaire à une communauté plutôt harmonieuse et égalitaire
Égalitaire, ce mot est important pour caractériser l'Église réformée des premiers temps. En Jamaïque - tu verras plus loin que cet exemple n'est pas cité par hasard - les protestants, au risque de leur vie et après un long et patient travail de fond sont à l'origine de révoltes d'esclaves noirs qui ont en partie motivé l'exil de gros producteurs sucriers.
Égalitaire, ce mot est important pour caractériser l'Église réformée des premiers temps. En Jamaïque - tu verras plus loin que cet exemple n'est pas cité par hasard - les protestants, au risque de leur vie et après un long et patient travail de fond sont à l'origine de révoltes d'esclaves noirs qui ont en partie motivé l'exil de gros producteurs sucriers.
Dans le Darien, "nos" Huguenots lancent sur grande échelle la culture du cacaoyer dans une septantaine d'exploitations; les Amérindiens, propriétaires des terres, s'impliquent dans le labeur quotidien et s'enrichissent; les flibustiers font jouer leurs réseaux commerciaux déjà rodés de longues dates avec de grands marchands anglais et hollandais qui, outre la haute qualité des produits français, apprécient l'art et la manière des pirates caraïbes de leur faire parvenir la marchandise sans passer par les services douaniers.
Dans Sagapanama, un de tes articles évoque brièvement l'incidence de la présence de nos concitoyens sur la confection des molas*2. Nous possédons suffisamment de sources pour confirmer et mieux comprendre ce rôle.
A cette époque, le buste et le dos des dames kunas étaient décorés de peintures aux couleurs vives et motifs sophistiqués et il est quasiment acquis que les dames huguenotes sont les instigatrices de la transposition de ces dessins corporels sur des tissus européens et initiatrices en travaux de couture.
Et puis vient la tempête qui va emporter tout ce fragile bonheur humain. Des négociants anglais basés en Jamaïque -ceux là mêmes qui achètent les cabosses de cacao- colportent auprès des autorités kunas que les Français vont faire venir des esclaves noirs. Cette fausse information vise à éliminer les étrangers du Darien sur lequel le monarque anglais a des vues colonisatrices qui prennent le relais de la malheureuse tentative écossaise entre 1699 et 1701.
Il faut dire quelques mots sur cette vieille aversion des peuples amérindiens du Darien à l'égard des Noirs. Déjà, dès le tout début du 16ème siècle, Vasco Nuñez de Balboa y fait allusion à propos des Cuevas, cousins et prédécesseurs des Kunas dans la région. On leur reproche des rapts, des viols et leur insistance à rôder autour des villages pour se "ravitailler" en femmes; la situation se corse d'autant plus que, selon les chroniques espagnoles, certaines dames cuevas, puis kunas ne sont pas restées insensibles aux charmes de ces solides gaillards et se sont offertes à eux. Il faut aussi signaler que le traité de paix de 1925 - traité d'importance majeure qui concrétise la quasi indépendance de la nation kuna - stipule que seuls les Blancs ont possibilité d'entrer en territoire de Kuna Yala.
Notes :
*1- Le nom de l'historien panaméen, époux de la Sra Angeles RAMOS BAQUERO, directrice du magnifique Museo del canal de Panama, c'est Alfredo CASTILLERO CALVO. Pour les hispanophones, on peut trouver sa biographie ici. Il est, entre autre, l'auteur de "Historia General de America Latina" en trois volumes.
*2- Voir ici l’article concerné