Sur les traces de la Gallega, la caravelle perdue de Christophe Colomb (1) Préambule historique
Le troisième voyage de Christophe Colomb s'est bien mal terminé pour lui. Partie le 30 mai 1498 de Sanlúcar de Barrameda, la flotte de huit navires emporte un peu plus de deux cents hommes vers de nouvelles découvertes. Le peu d'empressement affiché lors du recrutement de volontaires obligera la Couronne à gracier des prisonniers en échange de cet enrôlement. Des mutineries sont à prévoir. Bartolomé de las Casas, qui fait partie de l'équipage, racontera ce voyage. Après la découverte de Trinidad, Tobago et Granada, la flotte explore une partie des côtes de l'actuel Venezuela jusqu'au delta de l'Orénoque et revient à Santo Domingo. Entre temps, les colons d'Hispaniola assoiffés d'or mais fort déçus du peu de richesses découvertes se sont rebellés contre Bartolomé, le gouverneur par intérim. En arrivant, son frère Christophe Colomb, Gouverneur en titre, n'arrive pas à remettre de l'ordre.
A la Cour, l'intrigant Francisco de Bobadilla, réussit à convaincre le roi Ferdinand et la reine Isabelle que le grand navigateur n'est en fait qu'un homme avide de richesses et de pouvoir mais incapable de gouverner. Le but de ses voyages, dit-il, n'est plus de découvrir les Indes mais bien de profiter de ses titres de Vice-Roi, de Gouverneur des Indes et d'Amiral de la flotte espagnole et surtout de percevoir le pourcentage prévu sur les profits générés pour la Couronne. Le beau film de Ridley Scott, "1489, Christophe Colomb", avec Gérard Depardieu dans le rôle phare, évoque en partie ces épisodes de la guéguerre entre les deux hommes. Bobadilla, nommé par la Couronne comme nouveau Gouverneur d'Hispaniola, arrive d'Espagne, chargé de remettre de l'ordre sur l'île. Il rencontre Colomb en octobre 1500 et, après une courte investigation, le fait enfermer avec ses deux frères à fond de cale de la caravelle avec laquelle il est venu. Retour brutal en Espagne du navigateur enchaîné où il sera jugé et destitué de tous ses titres.
La Reine, prenant en compte les mérites passés du grand découvreur, le fait libérer et lui rend son titre d'Amiral. Christophe Colomb à cinquante ans passés, usé par ses précédentes expéditions, fatigué, malade et toujours marqué moralement par ses déboires du troisième voyage, songe tout de même à mettre sur pied une quatrième exploration. Son projet est autorisé par la Cour mais il est précisé qu'il ne devra en aucun cas faire des esclaves ni passer par Santo Domingo. Le 11 mai 1502, Colomb accompagné de son frère Bartolomé et de son fils Hernando reprend la mer au commandement de quatre petites caravelles en mauvais état, leurs noms: La Capitana, Santiago de Palos, Gallega et Vizcaína. Il faudra déjà remplacer la deuxième citée dès l'arrivée aux Canaries avant d'entreprendre la traversée de l'Atlantique.
Approchant de Santo Domingo, Colomb se rend compte de l'imminence d'une grosse tempête et demande l'autorisation de s'abriter dans l'estuaire. Pour obéir aux ordres royaux, Nicolás de Ovando, le nouveau Gouverneur qui a remplacé Bobadilla vite destitué, refuse l'accès à l'abri. Les caravelles mouillent devant l'entrée, seule la Capitana résistera sur son ancre, les autres, dispersées en mer par les puissantes rafales, pourront être miraculeusement regroupées. Ce premier coup du sort sonne comme un présage, autant le dire tout de suite, aucune de ces embarcations ne pourra revoir les côtes espagnoles.
La flotte se dirige au sud. L'Amiral, depuis son exploration de l'Orénoque lors de son troisième voyage, sait qu'il a découvert un continent imprévu. N'a-t-il pas écrit: "il n'est pas possible qu'autant d'eau douce provienne d'une île". Un temps il a même susurré qu'il s'agissait d'un nouveau continent inconnu, mais se rétracte bien vite et pour rester fidèle à ses affirmations d'avant son premier départ, "il n'y a rien entre le bout de l'occident et le bout de l'orient" déclare qu'il s'agit d'une extrémité de l'Inde. Il se dirige donc vers le sud et longe la côte depuis l'actuel Honduras jusqu'au futur Panama qu'il parcourt d'ouest en est.
Après avoir découvert la baie qu'il baptisera Belporto*1, le 5 novembre 1502, il retourne à l'ouest vers les côtes du territoire appelé Veragua par les indigènes qui lui avaient parlé de mines d'or lors de son premier passage. Le 6 janvier 1503 la flotte ancre dans l'estuaire du Río Belén*2. Après une dizaine de jours d'exploration à terre et de nouvelles rencontres avec le chef indien nommé Quibián, qui confirmeront la présence de mines d'or, Christophe Colomb décide d'implanter ici une colonie de quatre-vingt personnes sous le commandement de Bartolomé. Santa María de Belén sera le premier village espagnol implanté sur le continent américain. Les attaques répétées des troupes de Quibián feront douze morts, Bartolomé doit quitter les lieux, l'Amiral revient chercher les survivants mais ne peut repartir le 15 avril qu'avec La Capitana, la Santiago et la Vizcaina. La Gallega sera abandonnée en trop mauvais état et prisonnière de la barre de sable qui ferme l'estuaire en période sèche.
C'est sur les traces de cette caravelle que nous irons en "expédition".
Epilogue du 4ème et dernier voyage de Christophe Colomb.
La flotte repasse à Portobelo, va parcourir l'Archipélago de Las Mulatas*3 où un golfe est baptisé "Sambalas" et revient dans la baie. Il faut abandonner La Vizcaina*4 et refaire route vers Hispaniola avant de retourner en Espagne. Un cyclone oblige les deux embarcations rescapées à se réfugier sur la côte nord de la Jamaïque. Les indigènes refuseront l'asile à Colomb qui a déjà séjourné chez eux. C'était mal connaître les ressources de l'érudit navigateur. Il lui a suffit de lire l'Almanach Perpetuum d'Abrahám Zacuto pour menacer les autochtones de faire disparaître la lune si leur refus persistait. Trois jours plus tard, le 29 février, l'éclipse de lune prévue par les éphémérides lui sauve la mise. L'anecdote, si vous avez entre 7 et 77 ans doit vous rappeler quelque chose… Oui, oui, c'est bien ça, Hergé se servait parfois de faits divers historiques, Le temple du Soleil en est un exemple. La troupe séjourna un an aux frais de la princesse…
Après bien d'autres péripéties, les deux caravelles rescapées rendirent l'âme et c'est à bord d'une autre embarcation que le restant de la troupe repart d'Hispaniola pour rentrer en Espagne. Trois semaines après le retour de Christophe Colomb, le 26 novembre 1504 la Reine Isabelle meurt. De plus en plus malade, ne pouvant se déplacer, il envoie lettre sur lettre au Roi et fait le siège de la Cour. Il espère une réhabilitation, un retour de ses privilèges et, se disant ruiné, une aide financière. Le Roi finit par le recevoir mais fait trainer sa réponse. Le 19 mai 1506, l'Amiral signe son testament et meurt le jour suivant. Il sera enterré dans le couvent San Francisco à Valladolid*5.
Notes:
*1- Le nom, porté sur la carte établie par Bartolomé, sera hispanisé plus tard pour devenir Portobelo. Voir articles: "Christophe Colomb découvre la baie de Portobelo" et "De l'arrivée de Colomb à la fondation de Portobelo"
*2- d'abord appelé Río Quiebra par les indigènes
*3- C'est le véritable nom de cet archipel, encore nommé ainsi sur les cartes marines. Mais il est maintenant davantage connu sous le nom "Iles des San Blas".
*4- Christophe Colomb a bien écrit dans son testament (je dispose d'un exemplaire en espagnol d'une 5ème édition d'un livre publié en 1946) qu'il abandonne La Vizcaina à "Belpuerto" (sic), en fait il semble que l'épave découverte récemment près de Nombre de Dios, à quelques lieues en mer de Portobelo, soit bien celle de cette caravelle. Brouillage de pistes d'un découvreur?
*5- Son fils Diego se battra vainement jusqu'à sa mort pour faire réhabiliter son père, sa veuve continuera le combat et c'est seulement en 1536 qu'un accord sera trouvé. Le petit fils de Colomb, Luís Colon de Toledo renonce au gouvernorat des Indes et à la rente de 10% des profits réalisés dans la Colonie, en échange il est nommé Duc de Veraguas. Un de ses descendants porte encore de nos jours ce titre de noblesse.