Sur les traces de la Gallega, la caravelle perdue de Christophe Colomb (2) En route...
Le projet d'une balade d'exploration sur les traces de la Gallega, la caravelle perdue de Colomb, flottait dans l'air depuis quelques temps déjà. L'idée avait germée au cours des rencontres entre mon ami Christophe*1, historien et archéologue amateur éclairé, et Juan Martin archéologue colombien émérite chargé à l'époque de diriger les fouilles du site de Panama le Vieja, la ville coloniale détruite par Henry Morgan en 1670. La réalisation, sous l'égide de la Coopération Espagnole, d'un livre sur l'histoire de cette ancienne cité les avait fait se rencontrer. Au cours d'une de nos innombrables excursions à travers le pays, Christophe me propose gentiment de me joindre à eux deux pour cette exploration, ce qui me permettra de faire la connaissance de Juan Martín. En tant que bonhomme "ayant parcouru les mers", je suis même chargé de trouver la fenêtre météo favorable pour les navigations de l'aller et du retour, pas question de se faire secouer en mer ou de se retrouver sous des trombes d'eau.
Pour atteindre le village côtier de Santa María de Belén, il faut en effet marier une partie du voyage par la route avec une autre, maritime cette fois, que l'on nous avait annoncée comme devant durer quatre ou cinq heures. Le voyage débute en voiture par la traversée du Canal sur la passerelle épisodique des écluses de Gatun et emprunte ensuite la petite route qui longe sur quelques dizaines de kilomètres la Costa Abajo*2. A Miguel de la Borda, le dernier village accessible par la terre, des embarcations légères font la navette avec les villages plus lointains. Les dates et horaires étant des plus aléatoires, une chaloupe bien motorisée a été réservée pour éviter tout désagrément.
La consultation régulière des bulletins de la météo marine oblige à quelques reports de dates, il faut conjuguer deux paramètres, l'état de la mer et l'état du ciel. Pas simple, la période annuelle durant laquelle l'océan est le plus calme correspond aux mois d'octobre et novembre, malheureusement aussi les plus arrosés au plus fort de la saison des pluies. Mais les dieux de la mer et du vent, chers à Bernard Moitessier*3, seront avec nous le deuxième week-end de novembre. Rendez-vous est pris.
Le vendredi, en début d'après-midi, les "capitalinos"*4, récupèrent le provincial que je suis aux abords de Colon, non loin des écluses. Christophe fait les présentations. Première surprise, le titre de "Docteur en archéologie" obtenu dans une grande université d'Espagne et la fonction de responsable des recherches archéologiques du site de Panama la Vieja ne m'avaient pas préparé à rencontrer un homme aussi jeune et au look davantage assorti à son âge qu'à ses titres. Juan est accompagné de son gamin, explorateur en herbe. Convivialité et empathie seront de l'aventure.
Sur le mur d'une maison du village
Passage au-dessus du Canal, bout de route et escale pour la nuit à Achiote, ce qui permettra de finir le trajet le lendemain matin. La pause est des plus agréables, le village est situé au beau milieu de la forêt protégée de San Lorenzo. Une association d'amis de la nature*5 a implanté ici "El Tucán", un centre de visites pour l'observation de la faune et de la flore. Des dortoirs, une cuisine, un réfectoire et une salle de réunion sont mis à disposition des amateurs ou professionnels en échange d'une modeste contribution. Des sentiers écologiques balisés avec panneaux d'informations permettent de rentrer dans la forêt, ce que nous ne manquerons pas de faire au retour de notre périple, si le temps imparti le permet.
Le lendemain matin, après avoir suivi la route côtière et traversé de beaux villages situés aux embouchures de fleuves qui dévalent de la Cordillera Central, nous arrivons à Miguel de la Borda. Petite inquiétude, le "lanchero"*6 se fait un peu attendre, mais nous sommes au Panama… L'ampleur du retard, encore acceptable, permet à l'individu, au demeurant fort sympathique, de penser qu'il est à l'heure. Courtoisement, il nous avertit qu'il y aura un stop non prévu au programme, une livraison à faire au passage dans un village côtier. Un arrêt pipi obligé en quelque sorte… Le moteur, pour une fois docile et bien réglé, ne rechigne pas à nous faire sortir rapidement en mer. Comme souvent, les prévisions à trois jours du NOAA*7 se révèlent bonnes, les vagues qui brisent sur cette côte exposée au nord sont à classer aujourd'hui dans la catégorie "petite houle". Bien que venant sur le parfait tribord de l'embarcation, qui file maintenant plein pot, elle ne rendra pas la navigation désagréable. Cap à l'ouest! Si le pilote s'endort, et nous avec, nous pourrions nous réveiller à Bocas de Toro après une bonne sieste ou au Costa Rica si le somme dépasse la durée généralement admise dans un hamac.
Loin de nous l'idée d'une sieste. Le spectacle de la côte qui défile est magnifique. Une heure durant, de hautes falaises marient une palette allant du beige clair à terre brulée en passant par des terres de Sienne plus ou moins nuancées. Souvent chapeautés de végétation luxuriante, les hauts murs, visiblement d'origine volcanique, ont parfois égrainé des rochers qui ont choisi de se faire chatouiller à vie par l'écume. Plus loin, le relais est pris par la même jungle, préférant par ici avoir les pieds posés sur le sable des plages. Quelques éclaboussures de civilisation parsèment de-ci de-là de maigres hameaux sur le panorama sauvage. Pour mieux se faire repérer, ces épars petits tas de paillotes envoient des pincées de frêles esquifs faire des ronds dans la houle poissonneuse.
A mi-course, les eaux limoneuses d'un grand fleuve diluent leur tâche incongrue dans les bleus caribéens. Le village-étape est là, agrippé à la rive en compagnie de ses cocotiers et bananiers nourriciers. Quelques pirogues endormies semblent dessiner sur le ruban de sable un message en morse, sûrement rien d'urgent… Petite balade pour dégourdir les jambes et apprendre qu'ici, nous sommes à Coclé del Norte. Réconfortant de savoir où l'on est perdu…
Déchargée sa commission, la chaloupe repart de plus belle, prochain arrêt l'embouchure du Río Belén.
Notes:
*1- Christophe Henry, avant de retourner vivre en France a laissé sur ce blog de brillants articles. Voir son interview. Lors de son long séjour au Panama il a réalisé des séries de photos aériennes dont certaines ont été publiées dans des livres traitant de l'histoire du Panama.
*2- Costa Abajo, c'est ainsi que les Panaméens appellent la côte de la Mer des Caraïbes située à l'ouest du Canal de Panama. L'unique façon terrestre d'accéder à cette région, occupée de quelques villages épars, consiste à emprunter une passerelle sur le Canal. Celle-ci se met en place au pied des chambres d'écluses lorsqu'aucun navire n'entre ou sort. Le littoral est encore très sauvage mais la construction prochaine d'un pont enjambant le Canal fait craindre le pire, grands hôtels, marinas et urbanisations à but touristique auront vite fait de la dénaturer.
*3- Le grand navigateur et écrivain (1925-1994) a laissé des ouvrages comme La Longue Route et Tamata ou l'Alliance qui ont inspiré bon nombre de navigateurs amateurs partis courir les mers du globe. Article wikipedia.
*4- Habitants de la capitale.
*5- CEASPA, Centro de Estudios y Acción Social Panameño
*6- Les chaloupes sont appelées lanchas ici au Panama, par extension l'homme qui manœuvre le moteur hors-bord, souvent propriétaire de l'embarcation, est appelé "lanchero"
*7- NOAA (National Oceanic and Atmospheric Administration) service de prévisions météorologiques des USA. Site Internet