Sur les traces de la Gallega, la caravelle perdue de Christophe Colomb (3) Santa María de Belén

Publié le par Michel Lecumberry

  Afin que l'on puisse repérer de loin l'embouchure du Río Belén, la Mère Nature des indigènes locaux a bien fait les choses. Un beau promontoire rocheux vêtu de forêt s'avance en mer et domine l'estuaire. Christophe Colomb, parcourant la côte, ne pouvait manquer de s'y protéger une première fois avant de découvrir plus loin Portobelo et l'archipel des Mulatas*1. Attiré par la présence d'or dans la région, il revint pour y fonder la première colonie espagnole sur les continents*2. Après deux ans de recherches sur le site, deux archéologues américains Donald Keith et Toni Carrell venus en 1990 pour chercher La Gallega, n'ont trouvé aucune trace de son épave. Elle fût sûrement emportée par les fortes crues annuelles du fleuve ou, comme certains historiens le pensent, la caravelle prise par le sable a peut-être été en partie démembrée pour être utilisée dans la construction du village. Les dires de Colomb furent tout de même confirmés par ces deux chercheurs qui ont découvert des tessons de vaisselle près d'une fontaine et un étrier en bronze. Comment n'avoir pas eu envie de venir pour se rendre compte par nous-même…
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Le "morro" est en vue
 
Au village, qui étire mollement en bordure des eaux un chapelet de maisonnettes aux couleurs caribéennes, le réseau électrique n'arrive pas et l'unique cabine téléphonique, abandonnée depuis belle lurette aux morsures de l'air marin, tombe en ruine. Pour les urgences, l'instituteur du village espère que la radio serait compréhensive en cas de besoin. Alors bien sûr, n'espérez pas y trouver un hôtel ou quelque restaurant que ce soit. Une famille mettra à notre disposition une maisonnette de pêcheur actuellement inoccupée et une brave doudou nous recevra sous sa véranda pour nous servir à manger durant les deux jours. Hospitalité sans faille du peuple panaméen…

A "l'hôtel" vu imprenable sur le "morro"
 
Bien sûr mes compagnons ne sont pas venus pour creuser le sable ou sonder les eaux du fleuve, il s'agit de s'imprégner de cet environnement, de ressentir un vécu passé, d'imaginer, sans s'interdire de rêver. Où les quatre-vingts colons ont-ils pu établir Santa María de Belén. A leur place, qu'aurions nous fait en 1503. Le village au bord de l'eau peut-être, mais à l'abri de la houle, ou bien près d'un poste de guet, avec deux ou trois canons au cas où, au sommet du promontoire. Justement, guidés par deux jeunes du village embauchés, nous montons sur le "morro"*3.
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Quelle vue! Un 360º: la mer, la baie intérieure enguirlandée par les maisonnettes du village, les montagnes de la Sierra voisine et là, juste en bas, un terreplein dans un méandre du fleuve. L'endroit idéal pour échouer la Gallega, si toutefois le cours d'eau n'a pas changé sa course depuis cinq siècles… Au retour, nous irons voir si une source nécessaire coule bien dans le coin. Nous la trouverons.
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   En fin d'après-midi, quelques villageois passent tailler une bavette avec nous. L'un d'eux, érudit, nous fait un remarquable exposé sur l'histoire de la région. La conversation dure et, promis juré, se poursuivra demain. A l'heure de l'apéritif, une petite soif nous titille. Il faudra marcher deux heures pour aller acheter quelques bières fraîches. Non, pas dans un village voisin raccordé par je ne sais quel miracle au réseau national. En fait, au bout du sentier indiqué par nos informateurs, se tient à peine debout une cabane délabrée aux planches fâchées les unes avec les autres, perdue dans la forêt. La lumière du jour déclinant, l'environnement forestier étrange, comme atteint de pelade et ce petit chien enchaîné qui joue au pitbull, tout pour servir de décors à un film d'épouvante hollywoodien. Pourtant, le vieux couple accueillant qui vit là, pas mal délabré aussi, aime tellement ses semblables qu'ils acceptent de laisser couvrir jour et nuit les musiques de la forêt par les râles pétaradants et fumants d'un petit groupe électrogène. Le frigo Hoover qui s'en nourrit, a dû faire la guerre de sécession mais garantit aux villageois les bières fraîches souhaitées. A condition d'aimer la marche… et d'accepter de la boire tiède de retour sous sa véranda.
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Le lendemain, retour sur la chaloupe. Au programme, une reconnaissance sur le fleuve qui serpente dans la forêt. Au hasard des rives, des huttes solitaires surveillent de haut lavandières ou pirogues de pêcheurs indolents. Plus loin, un petit hameau nous fait un clin d'œil. Escale. Vivent ici, semble-t-il, des cultivateurs. Une case, nous dit-on peut vendre des boissons fraîches, la soif nous pousse vers là. Sous l'auvent, une jeune femme égraine du maïs, son homme à la fenêtre-comptoir sourit et va extirper des sodas d'un énorme congélateur bahut.
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  La conversation s'engage, bien vite il annonce, sous le feu pourtant bien peu nourri de nos questions anodines: je suis orpailleur. Ça paye bien? Le jovial visage abandonne un court instant l'encadrement rose bonbon à celui non moins rigolard de sa gamine. Il revient, exhibant fièrement un pot de confiture. La marmelade qui de loin semble être d'ananas, occupe encore un petit quart du volume. L'accommodation faite, force est de constater: ce sont des paillettes de métal précieux. Cueillette d'une année? Sourire de compassion. Un mois? Sourire de commisération, nous en déduisons: la semaine alors? Sourire en coin énigmatique. Nous n'en saurons pas plus. Encore une confirmation des dires de Christophe Colomb qui, dans une lettre à sa Reine, indiquait avoir vu en quelques jours dans la région du Veraguas autant d'or que durant tous ses voyages. 
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  Retour vers Santa Maria. Ce soir, pas de rando-bière mais visite du village sur toute sa courte longueur. Les habitants sont au nombre de quatre cents environ. Guère éloignée de notre maison d'hôtes improvisée, l'église fait face courageusement à une menace. Entre elle et la mer, une statue se dresse, peut-être involontairement métaphorique, le célèbre cacique indien Quibián*4 lève sa hache de silex comme pour abattre l'édifice religieux. Ignorant les intentions belliqueuses, alentour, les petites maisons de bois peint se fondent peu à peu avec la douceur de la nuit qui vient nous envelopper.  
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  A regret, le lendemain il nous faudra quitter Santa María de Belén et ses chaleureux habitants, bien rangées dans nos besaces à souvenirs, ces heures de convivialité passées sur les traces de la Gallega.
  
Avec Christophe et Juan, nous nous retrouverons pour d'autres amicales balades de découvertes.

Ici, d'autres photos de l'expédition
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Notes:
*1- Appelé couramment de nos jours: Archipel des San Blas
*2- Voir préambule historique
*3- Morro, le museau. Nom imagé donné à ce promontoire
*4- Pour commémorer le 500ème anniversaire de la venue de Christophe Colomb sur l'isthme de Panama, le diocèse de la ville de Colon a fait ériger deux statues du Grand Chef indien Quibián. L'une d'elle (en résine) se trouve à Santa María de Belén, l'autre (en bronze) sur l'avenue centrale de Colon. Elles ont été réalisées par l'artiste Edgar Urriola qui a également peint un tableau intitulé "Le naufrage de la Gallega", pour être installé dans l'église du village. Quibián fût le premier chef indigène devenu célèbre pour s'être révolté face aux Espagnols. Bartolomé l'a fait prisonnier mais il a réussi à s'évader avant d'être embarqué vers l'Espagne.

Quelques photos souvenirs de l'équipe

Sur le "morro" avec nos jeunes guides

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Conversation "technique" devant l'église

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Autre conversation "technique" sur la chaloupe

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