Camino Real de Panama, une balade à la découverte de ses vestiges
Christian Strassnig, l’archéologue autrichien évoqué récemment dans l’article consacré au Camino Real de Panama, propose depuis quelque temps de venir partager sa passion et le fruit de ses longues recherches au cours de balades accompagnées sur les vestiges de cette royale voie.
Le programme pour ce dimanche, reçu par Internet, est captivant. Nous sommes cinq amis francophones*1 à nous joindre à la vingtaine de panaméens qui se sont déclarés partants. Le minibus jaune canari, qui nous attend au rendez-vous matinal, sera ainsi comblé d’une ambiance sympathique, joyeuse et studieuse à la fois. Le groupe est majoritairement composé d’étudiants et professeurs d’université, de guides touristiques et de cadres d’Autorités diverses entre autre celle du Canal (ACP) et celle du Tourisme (IPAT). Lors de l’auto présentation de tous les participants se distingue un point commun : l’intérêt d’aller à la découverte d’une parcelle de leur passé historique méconnu. Tous le disent trop souvent ignoré ou négligé par les instances dirigeantes successives de leur pays et par conséquent dans leur système éducatif. On entendra aussi, par deux ou trois fois, l’expression d’un certain regret : pourquoi faut-il que ce soit presque toujours des étrangers qui viennent étudier ou découvrir sur le terrain ces patrimoines historiques et naturels du Panama. Ce regret qui s’exprime, il faut le préciser, est toujours tempéré de reconnaissance pour ces archéologues, historiens, anthropologues ou naturalistes venus d’ailleurs pour les aider à connaître leur propre pays et son histoire.
Nous sommes au Panama, le minibus, et accessoirement ses occupants, devront attendre les retardataires, lesquels arriveront avec la demi-heure de latitude auto-accordée traditionnelle. Christian, après cinq ans de présence dans le pays, a bien entendu prévu ce décalage initial dans le déroulement de son programme. Allez, hop chauffeur! Nous entamons la petite heure de route pour atteindre Nuevo Vigía, point d’embarquement sur le Lac Alajuela. Pied à terre, chacun se vêtira d’orange. Au Panama les gilets de sauvetage sont obligatoires pour tout déplacement aquatique, sauf pour la natation bien sûr… Mais comme pour la musique crève-tympans dans les Diablos Rojos, les "chauffeurs" de bus ou de pirogues ne témoignent pas beaucoup de respect pour les règlements, à moins qu’il s’agisse ici d’une phobie des couleurs fluo. Non ! Cette dernière explication ne tient pas la route. Il suffit de voir les lycras que portent parfois dans la rue les jeunes, ou moins jeunes, doudous. Plus les chips, fritures et autres sodas se sont accumulés aux endroits stratégiques plus la seconde peau est fidèle aux débordantes rondeurs et plus sa couleur est criarde et surtout très fluo. Tout le contraire d’une phobie.
Mais, laissons les trottoirs colorés des villes, ici nous voilà embarqués vers l’aventure en pleine nature. Les pirogues slaloment maintenant entre les squelettes de ces arbres condamnés à mort par la mise en eau du lac artificiel*2. Les nísperos, cocobolos, guyacans et autres merveilleux arbres dits exotiques se refusent fièrement au pourrissement. Décharnés mais stoïques ils veillent encore, aidés de leurs fidèles reflets, au bel équilibre visuel des panoramas s’offrant à nos yeux.
Dès la première escale, nous entrons dans le vif du sujet. Christian ne tergiverse pas avec une quelconque recherche d’effets de suspens qui consisterait à garder le clou du spectacle pour la fin du parcours. D’entrée de jeu voilà un beau tronçon du fameux Camino Real. Certes il est délabré, mutilé par le temps, usé de tant d’agressions, mais le poids de son histoire emplie vos esprits aussitôt que vous le tutoyez de vos pas hésitants. Les trains de mules croulant sous la charge de leurs lingots d’argent venant du Potosi ne passent plus par ici. Pour que l’on pense encore à leur pénible travail, un mulet, boitant sûrement bas, a laissé un fer comme pièce à conviction. Le soir venu, à la proche Venta de Chagres, son tout aussi exténué muletier l’aura confié aux bons soins du maréchal-ferrant, avant d’aller honorer goulument la soupe de réconfort. Demain matin, il faudra remettre les charges à dos et se diriger vers l’épreuve finale, cette foutue cordillère qui nous déposera, au-delà de notre fatigue acceptable, sur la place centrale de Portobelo, aux pieds coralliens de la Aduana Real. A peine échangé les briques rutilantes par des balles de tabac, quelque roue de fromage, des selles pour les chevaux des conquistadors ou d’autres biens venus d’Espagne, qu’il faudra repartir affronter soleil de plomb ou pluies diluviennes en direction de Panama.
Notre petit groupe parcours le sinueux tracé, Christian distribue avec générosité ses connaissances, chacun se laisse embarquer dans un flot d’informations historiques et techniques. Son véritable don de conteur rend impalpable le temps destructeur qui s’est écoulé depuis cette époque. Nous sommes vraiment sur le Camino Real d’antan, nous vivons un présent vieux de quelques quatre siècles, nous survolons pas à pas un morceau de l’histoire de la colonisation. Magique.
(à suivre)
Notes :
*1- J’étais ce jour là en compagnie de :
Margarita, notre amie guide panaméenne francophone, gentillesse et grande compétence personnifiées
Jean-Christophe et Jean-Pierre, vous les connaissez pour apprécier leurs excellentes contributions à ce blog
Olivier, qui dirige Cactus, son agence de voyage à Panama
*2- Ce lac artificiel est connu sous le nom de Lago Alajuela, le barrage Madden fût construit sur le Río Chagrés entre 1931 et 1939. Il contrôle le flux du turbulent fleuve, approvisionne le réseau électrique et sert d’appoint au lac Gatun qui alimente les écluses du Canal. Sa superficie est d’environ 50 km2. Durant la saison des pluies sa capacité atteint 765 millions de m3, en saison sèche elle descend à 222 millions de m3, libérant une superficie de 13 km2 et découvrant ainsi des tronçons immergés du Camino Real. Lorsque la saison sèche dure anormalement, on peut voir des vestiges de la Venta de Chagres.