Présence de Huguenots Français chez les Kunas du Panama au XVIIème siècle (2ème partie)

Publié le par Jean-Christophe Henry

  C'est en 1757 qu'une coalition de tribus kunas massacra les Huguenots français. Non seulement eux, mais aussi leurs épouses kunas et les enfants qu'ils eurent d'elles; plusieurs centaines de victimes, peut-être un millier.
  
D'après un anthropologue du Cnrs (dont j'ai bien sûr oublié le nom)*1 la supposée arrivée des Noirs n'est pas la seule motivation de ce massacre car il existe également les impératifs de la Tradition dont la pureté du sang est un élément primordial. Il fallait donc un jour ou l'autre normaliser la situation par la voie coutumière de l'infanticide.
 
Pour aller jusqu'au bout et tenter de cerner toutes les motivations de cette extermination, il faut ajouter que bien longtemps après 1757, les plantations et le commerce du cacao continuèrent à prospérer sous l'entière autorité du peuple kuna.Sans-titre-13
    A ce carnage fratricide, deux hommes vont survivre; deux, Français et Huguenots et réussirent à s'enfuir.
   
Nous retrouvons leurs traces dans la région de David où ils sont signalés aux militaires qui partent à leur poursuite. Nous imaginons tous, ce qu'il a fallu de courage et d'intelligence à ces deux là pour traverser le Panama dans toute sa longueur, avec pour quotidien l'hostilité de la nature et des habitants.
  
Les Espagnols les rejoignent sur le chemin qui conduit aujourd'hui à Boquete (à cette époque le village de Boquete n'existait pas et le sentier aboutissait à la Lagune de Chiriqui). L'un d'entre eux est tué et le lieu exact de sa mort nous est connu car il s'appelle encore maintenant : "Mata Del Francés".

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   Il s'agit du carrefour de la route de Boquete et de celle de Caldera. Tu le situes ?*2
   
Quand j'étais guide et que je passais par là, j'avais pour habitude de saluer - discrètement, histoire de ne pas être pris pour un fou - la mémoire de cet homme. Il serait sympa de ta part de le saluer pour moi lors de ton prochain voyage à Boquete.
  
Les deux rescapés ne marchent pas au hasard; leur très long périple a pour but  de rejoindre une autre communauté française et huguenote sur laquelle nous possédons peu d'informations. Elle se trouvait quelque part dans la Lagune de Chiriqui, était d'importance moindre que celle du Darien et également associée à des boucaniers et flibustiers quasiment tous d'origine anglaise dans ce cas.
  
En 1725, une troupe de miliciens - pour pallier au manque chronique d'effectifs militaires - arrivée par voie de mer, les assaillent par surprise et causent de nombreuses victimes, aussi bien chez les Français que chez les Anglais et une hécatombe parmi les Amérindiens insoumis de la région.

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  Dans les années 1830 sont signalées de sérieuses confrontations entre nos concitoyens et les nouveaux arrivants. Ces derniers sont de riches colons anglais qui abandonnent la Jamaïque en masse (voir plus haut le motif principal auquel on doit ajouter une notable augmentation des impôts dans leur île) et débarquent en famille avec tous leurs biens y compris bétail, matériel sucrier lourd et esclaves noirs. C'est à eux que nous devons cette empreinte de culture jamaïquaine encore si perceptible de nos jours à Bocas del Toro.
   
Et "nos" Français huguenots dans tout ça ? C'est fini, tout s'arrange, tout le monde se mélange et se fond dans le creuset de la nationalité panaméenne.
  
Pour terminer, revenons au survivant de la route de Boquete. Fascinante est la vie de cet homme. Les Espagnols l'emprisonnent à David; plus tard, entraves aux pieds, le laissent circuler en ville où il participe aux travaux d'entretien et plus tard encore lui ôtent les chaînes. Fin du voyage, il devint citoyen ordinaire de la ville de David et fonda famille.
   
Cher ami, grande fut ma joie quand apparut sur mon téléviseur une dame de David qui parlait de son ancêtre Français et protestant, j'ai alors pieusement noté son nom de famille - un nom bien de chez nous - sur un bout de papier.
  
Et ce bout de papier, je le cherche encore.
  
Camarade, je te salue bien fraternellement et te souhaite le meilleur dans ce monde incertain.

P.S : Je te fais part d'une information de dernière minute dont ne parle aucun des historiens que j'ai consultés pendant plusieurs années; nous la devons au Musée de La Roque d'Anthéron en Bouches-du-Rhône (Musée Mémorial d'Évocation Vaudois et Huguenot)*3.
  
Le musée précise que "nos" Huguenots du Darien sont des "Huguenots d'origine vaudoise".
  
Les Vaudois, le Valdéisme, tu t'en souviens ? Moi non plus, pas trop. Je te laisse lancer une recherche Google pour te rafraîchir la mémoire.
  
Après le massacre dont ils sont l'objet en 1545, les rescapés Vaudois se rallient aux Huguenots (leurs motivations -les exactions de l'Église catholique- et leur démarche spirituelle -un retour aux sources pures du Christianisme des premiers temps- sont très semblables).
  
Ce sont donc les descendants des persécutés Vaudois que nous avons rencontrés dans le Darien, eux-mêmes persécutés en tant que Huguenots et de nouveau persécutés par les Kunas. Cette longue chaîne de persécutions sur 200 ans me laisse pantois!
  
Le musée (qui possède une belle collection de molas) met en évidence l'amitié qui "dans un premier temps" a uni Kunas et Huguenots/Vaudois, il "oublie" de mentionner le second temps c'est à dire : le massacre.

 

Retour sur la première partie de l’article

 

Notes :
*1- L'anthropologue, spécialiste des amérindiens kunas de Panama, directeur d'études à l'EHESS et chercheur au Laboratoire d'anthropologie sociale, s'appelle Carlo SEVERI. On peut aisément trouver ses écrits et conférences concernant les Kunas sur ledit moteur de recherche.
*2-En effet, je situe fort bien cet endroit, mes balades me menant souvent vers Boquete. Ce lieu-dit "Mata del Frances" se trouve une dizaine de kms avant d’arriver à la charmante ville, au pied du Mont Baru. La route David-Boquete vient d’être refaite et élargie à quatre voies. Le panneau, pris en photo il y a quelques jours, est également tout neuf. La mémoire du Huguenot reste donc bien présente et lorsque j’accompagne par là des touristes français, je ne manque pas de conter l’épopée de ces Huguenots venus se réfugier chez les Kunas et leur triste fin. Jean-Chistophe, c’est promis, je vais perpétuer ta noble tradition !
*3- Mémorial d'évocation vaudois et huguenot Place Paul Cézanne 13640 La Roque d'Anthéron

  • Téléphone : 04 42 50 70 74
  • Fax : 04 42 50 70 76

Site : www.ville-laroquedantheron.fr

Crédit illustration n°1:

Meurtre de Pierre Gambie, [Th. de Bry, Théâtre du Nouveau Monde: les Grands Voyages, Paris, Gallimard, 1992, p.93]

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