Folklore traditionnel du Panama, le Festival del Manito de Ocú
Pour évoquer cette manifestation folklorique des plus typiques du Panama, le Festival del Manito, nous retournons vers la région de l’Azuero, mais cette fois ci pour rejoindre la province Herrera, plus exactement la petite ville de Ocú*1. Comme les possibilités d’hébergement sont très limitées sur place, il est possible de séjourner à Chitré et de rejoindre aisément le lieu des festivités par une petite route campagnarde pleine de charme. Très vallonnée et verdoyante, elle traverse quelques charmants villages, les jardins entourant les pimpantes maisonnettes débordent de fleurs, de plantes exotiques et d’arbustes colorés. Elles paraissent aussi accueillantes que les habitants de cette belle région champêtre.
Le festival a lieu au mois d’août, généralement durant la deuxième semaine, du jeudi soir au dimanche*2. Le vendredi est réservé aux manifestations enfantines, le samedi se déroule la fameuse "Boda Campesina" (la noce paysanne) et le dimanche, place au grand défilé traditionnel du Festival !
L’appellation de "manito" vient de la façon particulière avec laquelle les paysans de la région se saluaient. La présidente du Comité du Festival, Angela de Aizpurúa, nous précise qu’il s’agit d’un festival qui rend hommage au paysan "ocueño" qui a des coutumes très anciennes, encore respectées. En l’occurrence, pour se saluer on se serre la main avant de la porter au front en prononçant la phrase : "ta las manitos" qui peut se traduire par "comment vas-tu mon frère ?".
Toutes les coutumes qui touchent à la vie quotidienne des paysans de cette région prennent leur source à l’époque de l’arrivée des colons espagnols. Elles ont été étudiées par des professeurs et chercheurs pour être, chaque année, représentées au cours de ce festival fondé le 13 août 1967. En 1999, la loi nº57 du 1er décembre déclare que ce festival devient Fête Folklorique Nationale du Manito, avec pour objet de conserver, divulguer et promouvoir les coutumes et traditions de la région.
Dans le cadre de cet événement un hommage est rendu à la beauté de la femme "ocueña" représentée par la Reine du Festival. Chaque année, un jury qualifié sélectionne une dizaine de jeunes femmes de 15 à 20 ans. L’une d’elles sera élue au cours d’une tombola et aura ainsi l’honneur de porter la couronne. La reine sera présente durant toutes les manifestations officielles de la ville au cours de l’année et bien évidemment en premier lieu durant tout le déroulement de cette fête.
La noce paysanne qui a lieu le samedi voit l’union religieuse réelle d’un couple qui a eu la chance d’être tiré au sort parmi les postulants. Pour venir à l’église, vers 10 heures, les parents et amis ont revêtu leur tenue des grands jours. Les femmes portent la "pollera de gala monteña"*3, les hommes, très chics et très fiers, en chemise blanche et pantalon noir, arborent le fameux chapeau " pintao ocueño". Le couple qui a eu la chance cette année de se marier à l’ancienne a dû profiter longtemps d’interminables fiançailles ou peut-être que les tourtereaux, plus très jeunes, ont-ils perdu x fois au tirage au sort. Remettant sur le métier leur ouvrage, comme joueur invétéré cherche inlassablement le Niagara de dollars d’un bandit manchot dans un casino de la capitale. Enfin... quoi qu’il en soit, le couple d’âge mûr offre aujourd’hui à la foule nombreuse venue les admirer l’image de leur bonheur bientôt estampillée par le Clergé.
Bon, la première partie de la cérémonie, disons jusqu’à la sortie de l’église, sacrifie au cérémonial de tout mariage religieux bien de chez nous. Attente des invités sur le parvis, gamins un peu rigides dans leurs habits du dimanche, curé invisible, s’assurant peut-être de la qualité du vin de messe ou autres scénettes classiques lors de telles cérémonies villageoises. Si ! Quand même, pas de hauts-de-forme ou de capelines style Prix de Diane à Chantilly, pas de cravates ou de fiacres tirant chapelés de casseroles. Mais tout de même… vraiment la classe ! La Reine, beau papillon aux ailes déployées ouvre le cortège, suivie par d’autres belles "polleras", demoiselles d’honneur avec chevaliers servants en bandoulière, pour précéder les fiancés légèrement émus. Ceux-ci ne peuvent plus s’enfuir, entourés étroitement qu’ils sont par leurs prévoyants amis et par la foule de spectateurs.
Classieux aussi, le chœur et les musiciens qui, pourtant pas très rock n’ roll, vont tenter de tenir éveillée la compacte assistance durant l’interminable messe. Mais comme partout au Panama, la musique balance pas mal, alors chacun gardera bon pied bon œil jusqu’à la sortie du cortège. A cet instant, légère bousculade, surtout pour les photographes, il faut absolument assister à la scène cocasse qui va suivre. Nous sommes dans une région de cheval ! Le jeune marié va avoir la lourde charge (n’y voyez aucune allusion au physique de l’épousée) d’aider sa dulcinée, toute fraîchement officialisée, à grimper sur sa rossinante endimanchée. Je soupçonne quelques spectateurs de s’attendre à ce que, sous l’effet de la rude poussée du valeureux époux sur l’épais matelas des jupons de la pollera, celle-ci ne passe sur l’autre versant du flegmatique animal juste après avoir seulement épousseté la selle. Aujourd’hui, ceux-là seront déçus, la belle, même pas décoiffée, reste en selle, sourire soudainement moins crispé.
La scène devient doublement intéressante, car sitôt la dame installée sur le cuir patiné par les années d’usage champêtre du monsieur, celui-ci monte en croupe ! Le malheureux ne se rend sûrement pas compte que ce n’est plus à une fiancée qu’il laisse les rennes du cheval mais à une épouse prenant celles du ménage, devenant ce que l’on appelle au Panama, en langage populaire : la dueña del dueño. Tous les hommes mariés de la terre ont sûrement compris l’assertion, je traduis quand même pour les jeunes célibataires : la patronne du patron ! Le mari, peut-être déjà un peu marri, reste galant et, durant tout le long trajet, abritera sa belle sous un parapluie qui servira d’ombrelle jusqu’au moment où, le temps d’une joyeuse ondée, il retrouvera sa fonction première.
Précédés et suivis par la foule bigarrée participant au cortège, le quatuor épouse-marié-parapluie-cheval va traverser la ville pour rejoindre lentement le Parc des Expositions afin d’assister et parfois participer aux manifestations de l’après-midi.
Suite, ici
*1- Le nom de Ocú (prononcer ocou) viendrait d’une langue indigène qui désignait ainsi les barbes de maïs. Cette céréale est très répandue dans la région. Les habitants s’appellent ocueño (ocouégno) et ocueña (ocouégna)
*2- cette année le festival se déroulait du jeudi 11 au dimanche 14 août.
*3- Nous allons parler prochainement des vêtements folkloriques traditionnels du Panama, en particulier ceux des femmes, les diverses polleras. Durant ce festival on peut admirer lors du "la noce paysanne" la "pollera de gala ocueña" mais également dans la rue "la pollera ocueña".