Café du Panama. A la découverte des meilleurs cafés du Monde. 2/ Chez les Kunas de la cordillère (suite)
Joyeusement entourés, nous voilà escortés comme la tradition le veut vers le Congreso, la grande case communautaire. Sur le sinueux trajet, une gamine par ci, une mamie par là se prêtent gentiment aux avides objectifs jaillis des fourre-tout.
Le jeune Sahila*1 du village prononce ses paroles de bienvenue, je traduis en espagnol la chaleureuse réponse de leurs hôtes et la confirmation du but de leur visite, Domingo me relaye en kuna. Rapidement la conversation s’engage sur le sujet de leur production de café. Paul Dequidt s’intéresse aux chiffres, combien produisent-ils, combien les grossistes payent-ils, quel est le nombre d’intermédiaires et surtout, pouvons-nous envisager des solutions pour que notre commerce soit équitable.
Au centre de la conversation, un bidon de peinture de 5 galons vide, c’est leur mesure volumétrique, rempli de café vert et acheminé par sacs à 5 heures de marche d’ici le premier intermédiaire le leur paye 7 $ ! Mais cela représente quel poids ? Avis partagés des Kunas présents. Disons… quelque chose comme une trentaine de livres. Estimation annexe, le café qui leur est acheté environ (comment éviter ici ce flou ?) 0,25 $ la livre se retrouve au mini-super chinois le plus proche un peu plus de 4 $. Seize fois leur prix de vente! Heureusement pour eux, ils savent le torréfier…
L’assemblée nage un bon moment dans ce jonglage de chiffres mélangés. Il y a des toneladas, des quintales, des livres US, des sacs et des bidons… durant ces longs calculs je me prends à espérer qu’aucun de ces derniers ne fuient comme les baignoires de notre école primaire… Au terme d’une longue palabre, comme les adorent nos amis les Kunas, un chiffre semble s’imposer à tous, la production annuelle du village tourne autour de 350 de nos tonnes. Ouf !
- Comme je serai obligé d’acheter votre café à un exportateur (qui est aussi le distributeur du café le plus connu et le plus vendu au Panama, ndr) comment pouvons nous être certains que l’on vous reverse à notre demande une partie du profit ?
Et chacun d’émettre des doutes… tous conclus d’une même certitude : impossible !
- Alors, la solution serait peut-être que vous nous proposiez un projet pour votre communauté, dispensaire, pont, adduction d’eau potable ou autre, nous pourrions le financer directement avec une partie du bénéfice généré par la revente de votre café en France.
Discrètement, je me pince. Il existe donc encore des hommes d’affaires qui ne conçoivent les échanges commerciaux avec des autochtones que s’ils comportent un volet équitable ? J’ai bien vu sur leur site Internet que la famille Dequidt a déjà réalisé des œuvres humanitaires*2. Mais là, dans cette case obscure entendre un homme, venu d’un monde voué à la spéculation et à l’exploitation des plus faibles pour amasser le plus de profit possible, s’intéresser avant toute négociation à l’aspect humanitaire d’une relation commerciale future… le guide-traducteur reste un instant sans voix. Une lumière nouvelle vient d’éclairer le début de notre voyage au Panama.
Les bases d’une discussion à venir étant posées, nous allons maintenant visiter le village en nous dirigeant vers les plantations. Slalom entre cases et bâches étendues à même le sol où les grains de café sèchent au soleil. Au passage, vue idyllique en surplomb sur un méandre de la rivière, des femmes lavent leur linge tandis que des gamins jouent dans l’eau près des longues pirogues endormies.
Nous entrons dans les plantations. Après quelques minutes de marche entre les caféiers, le soleil, les cerises de café et les cueilleurs Kunas sont au rendez-vous ! Paul et Mania, qui rêvaient d’une conjugaison de rouges pour les photos de leurs futurs livres, sont comblés.
Au retour, formulant le souhait d’une photo de famille, nos cueilleurs nous offrent le café de l’amitié. Torréfié "maison", il est chaleureux et de fort bonne qualité. Il restera dans nos mémoires comme le témoignage fraternel de cette belle journée passée à Norra, le petit village Kuna perdu dans la forêt de la cordillère.
Nous étions bien sur la piste des meilleurs cafés du Monde, entre deux survols de paysages majestueux.
Notes:
*2- site "Café solidaire"
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