Une famille de voyageurs découvre le Darién du Panama (3) Une journée sur le Golfe de San Miguel
Les lève-tôt le savent bien, les quelques minutes qui encadrent l'apparition à l'horizon de sa rayonnante Majesté nous réservent souvent de belles émotions. Ici, au Filo del Tallo, les cuipos*1, imposantes sentinelles avancées de la forêt tropicale, vont prêter leurs généreux houppiers pour filtrer ses premières lueurs incandescentes comme vitraux de cathédrales.
Sous la grande toiture de palmes qui abrite le restaurant, posé là, juste au-dessus du bar, un rossignol module ses dernières trilles de noctambule attardé. Quand même plus sympa que les infos matinales sur France 2 ou Europe 1, non? Et puis, tandis que Michel et moi garnissons la grande table d'hôte pour le petit déjeuner, un colibri, sortant peu à peu de sa léthargie nocturne, fait de brefs allers et retours entre son arbuste hôtel et le tout proche petit "bar" suspendu. C'est un signal, le jour est bien là et chacun, le ventre bien garni de réserves énergétiques, va se diriger vers ses propres aventures. Le ·picaflor*2 ira de fleur en fleur, Michel accueillera un photographe français en reportage et j'accompagnerai la petite famille pour faire le tour de la partie intérieure du Golfe San Miguel.
Ce golfe, au passé historique, c'est presque une mer intérieure tant il est vaste et cerné par les larges estuaires des grands fleuves du Darien. Pour son histoire, rappelons brièvement que la région fût d'une grande importance au début de la colonisation espagnole*3. C'est Rodrigo de Bastidas, arrivant de l'est, qui la découvre en 1501. En 1510, Vasco Niñez de Balboa y fonde côté Atlantique la première ville espagnole sur le continent, Santa María la Antigua del Darién. Pour clore ce chapitre fort résumé, indiquons que c'est depuis le sommet d'une colline riveraine de ce golfe qu'en 1513 le même Vasco Núñez de Balboa découvrira la "Mer du Sud". C'était un 29 septembre, d'où le nom de baptême de cette superbe étendue d'eau sur laquelle nous allons naviguer aujourd'hui.
En voiture! Direction Puerto Quimba, embarcadère des chaloupes et pirogues à moteurs qui sillonnent le Golfe à longueur de journée, en particulier celles qui font la navette avec La Palma, capitale de la province du Darien. Au petit Poste de Police, contrôle de routine bon-enfant et protecteur*4 tandis que notre embarcation attend sagement au ponton. Le temps d'enfiler les gilets de sauvetage et c'est parti vers la petite île qui abrite les ruines d'un fort espagnol. Mais, alors que nous approchons du but, les yeux de lynx de notre "chauffeur" repèrent au loin une troupe de dauphins. Cap sur nos toujours aimés cousins mammifères marins. Nous les accompagnerons une bonne demi-heure. Bien qu'à ce moment de la journée ils ne soient pas disposés à nous distraire de leurs sauts périlleux et autres facéties, c'est le casse-croute qui est à leur programme, les enfants se régaleront quand même et feront provisions de photos.
Après ce sympathique intermède, la chaloupe s'en revient sur l'itinéraire initial et pose bientôt son nez sur l'étroite rive tolérée par la forêt. Petit sentier style "Indiana Jones". Pendant que les aventuriers en herbe progressent, je profite de l'occasion pour vous préciser que c'est Michel Puech qui a fait dégager les ruines qu'ils vont découvrir et continue à faire tenir en respect la jungle gloutonne à coups de machette par ses guides locaux. Certes le Fort San Lorenzo du Darien n'a pas le somptueux port de tête de son collègue de Colon*5, mais son côté "je te tiens, tu me tiens, par la barbichette" entre arbres tentaculaires centenaires et vieux murs branlants est impressionnant et quelque part un peu émouvant, le premier qui tombera entraînera l'autre. Couples liés, à la vie à la mort, au destin fragile et incertain. Des fleurs, des insectes et les étincelants morpho*6 détournent heureusement l'attention de ce jeu à la triste fin annoncée.
La chaloupe se dirige maintenant vers l'île aux oiseaux et, au ralenti, fait deux fois le tour de ce refuge choisi par diverses espèces. Beaux ibis blancs, dont certains couvant au nid, pélicans, cormorans, grands hérons blancs et autres ont élu domicile sur les arbres accrochés à cet îlot surpeuplé. Photos!
Direction La Palma. L'approche est toujours étonnante. Plantée là, depuis des siècles sur la rive pentue, entre forêt qui ne demande qu'à dégringoler et berge au pourtour immuable, la petite ville étire ses maisons de bois aux couleurs vives le long de l'unique rue traversière. Celles du front de mer, pour ne pas dériver à la marée montante, se hissent comme mille-pattes sur des jambes fragiles de gazelles africaines. Après le déjeuner, petit resto typique, menus de fruits de mer ou de poissons, la balade digestive serpentera entre maisons parfois bleues, accrochées à la colline, pour atteindre la baie voisine. Ici, seules quelques modestes maisons de pêcheurs, de bois brut, moins pimpantes, comme des fourmis géantes colonisent la plage. Plus loin, en petits tas posés de ci de là sur la berge, des huttes d'indigènes s'étirent jusqu'à plus rien.
Retour sur la chaloupe, direction une autre île qui prêtera son interminable plage déserte pour un bain rafraîchissant et une recherche fructueuse de coquillages. Il est l'heure de revenir vers le lodge. La journée, bien remplie, n'est pas terminée. Ces heures de détente vespérales sont toujours un régal. Michel nous accueille, demande leurs impressions aux voyageurs, qui, dois-je le préciser, reviennent ravis de leur balade. Viens, me dit-il, il y a quelqu'un ici qui te connait. Vous avez peut-être un jour ressenti cette impression désagréable qui vous envahit quand une personne qui vous a connu dans le passé vient vous saluer et que vous n'arrivez pas à la reconnaître. Durant une fraction de seconde j'élimine des pistes, lycées successifs? Non! Service militaire? Non! L'homme pourrait être mon fils… Sûrement qu'à cet instant votre regard ou votre visage doit afficher quelque chose de lisible. Peut-être s'en amuse-t-il une seconde mais bien vite me libère: "nous sommes amis sur Facebook…". Notre intérêt commun pour les photos, les reportages et les récits de voyages a fait que nous nous sommes rencontrés sur ce réseau social, lui en professionnel, moi en amateur. Vincent Gaudin*7 continue gentiment à briser la glace: avant de venir j'ai parcouru utilement ton blog. Sympa.
Un jeune couple de voyageurs, en fin de séjour, s'est aussi joint à nous. La soirée, de l'apéritif au pousse-café coule comme du miel. La nuit s'installe, couvrant de sa douceur étoilée les récits croisés de voyages. Michel, hôte et animateur chaleureux est aussi un conteur de talent, ses récits d'aventures ont des accents pagnolesques. Et des aventures extraordinaires, il en a connu beaucoup ici, dans son insondable Darien…
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Notes:
*1- le cuipo, c'est le plus grand des arbres du Darien, il domine les canopées et les paysages. Il s’agit de Cavallinesia platanifolia (qui, vu l’ampleur de son tronc lisse, est appelé l’arbre patte d’éléphant par les indigènes)
*2- le picaflor (trad. Pique-fleur), nom local du colibri
*3- voir l'article: La Conquête Espagnole au Panamá - Résumé d’introduction
*4- contrairement à ce qui est affirmé sur la page du site du Quai d'Orsay consacrée au Darien, les voyageurs sont loin d'être sans surveillance lors de leurs périples. De très nombreux postes de contrôle du SENAFRONT (la police des frontières), sur la route nationale mais aussi itinérants (sur terre et sur mer) permettent un suivi de localisation des personnes. Ce jour-là nous avons été listés à l'aller et au retour au ponton de Puerto Quimba et deux fois sur les eaux du Golfe de San Miguel.
*5- voir article Le fort San Lorenzo 1er sept 2011
*6- extrait de l'article Wikipedia: Le nom vernaculaire morpho ou morpho bleu peut désigner plusieurs espèces de papillons bleu iridescent du genre Morpho, qui vivent dans les forêts tropicales d'Amérique centrale. Ce papillon étonne par les couleurs métalliques de ses ailes. Le revers plus discret est doté d'ocelles, qui imitent les yeux de plusieurs oiseaux, destinés à effrayer les prédateurs. La chenille, quant à elle, dégage une odeur assez repoussante. Il peut vivre jusqu'à deux mois, et se nourrit principalement de jus de fruits mûrs. Il survole les cours d'eau où il a la place de voler librement et où il évite au maximum les prédateurs. C'est l'un des plus grands papillons existants avec 12 à 20 cm d'envergure.
*7- Vincent, photographe professionnel, est Rédacteur en chef de "Journal du Trek.com" Vous pouvez voir son photoreportage fait au cours de sa balade dans le Darien, ici