Tourisme au Panama, le Fort San Lorenzo (suite)
Poursuivons notre visite, et descendons la rampe pour aller traverser tranquillement le tertre de la place d’armes. Au passage, par-ci par-là, on peut effleurer d’un doigt timide les petites plantes sensitives à fleurs mauves qui tapissent le sol pour les voir se rétracter comme par magie.
En bas de la rampe, tout près des ruines de la caserne se trouve un panneau explicatif concernant l’attaque du fort par l’amiral anglais Edward Vernon*. A la lecture, une question se pose : pourquoi est-il mentionné: "The War of Jenkins Ear" (la Guerre de l'Oreille de Jenkins), alors que dans les livres d'histoire de France ou d'Espagne cette guerre est appelée "Guerre de l'Asiento"* ? Petite diversion historique.
En 1731, un garde côte espagnol arraisonne indûment un brigantin commandé par le Capitaine Jenkins. Fort de son droit l'Anglais réagit très mal et tente de s'opposer à la fouille de son bateau. Le commandant espagnol le fait attacher au mât, et pour le punir de son impudence lui coupe une oreille, pille la cargaison licite, y compris les instruments de navigation et laisse le bateau partir à la dérive. Jenkins, bon marin, réussit à regagner l’Angleterre. Pendant sept ans le récit de cette mésaventure fait le tour des tavernes de Londres jusqu'au jour où le Parlement Anglais convoque le commandant pour qu'il relate les faits. Les Lords trouvent qu'il y a là outrage impardonnable commis à l'encontre d'un respectable sujet de sa Majesté. Le Vice Amiral Vernon, qui siège au Parlement, demande qu'on lui confie le commandement de six navires de guerre pour aller détruire toutes les positions espagnoles de la Mer des Caraïbes et laver ainsi l’insupportable affront. Il s’empare de Portobelo, le 21 novembre 1739 ce qui lui vaudra gloire en son pays. Il se dirige alors vers Cartagena de Indias où, après 67 jours de siège, il échouera lamentablement dans son attaque. Pour redorer son blason, il attaque et détruit San Lorenzo (22-24 mars 1740).
Le temps que je vous raconte cette petite histoire, nous voila arrivés tout près de la mer. Sur la gauche se trouvent les ruines de la poudrerie (K) et la tour (J). Vous ne verrez que le départ de l'escalier qui s’enfonce dans le sol, il est désormais impraticable et vous ne pourrez pas descendre dans la tour construite à flanc de falaise. En fait, il s’agit là du seul vestige de la première construction de San Lorenzo, le petit casernement qui la complétait a été détruit lors des attaques du fort qui ont suivi. Le mur d'enceinte avec ses parapets à meurtrières et les canons ont disparu, reste la vue imprenable...
Au retour, avant de remonter vers le poste de garde, on peut jeter un coup d'œil dans une ou deux des caves voûtées qui servaient à entreposer, armes, matériel d'équipement et vivres.
Il faut repasser le poste de garde et le pont pour arriver sur la plateforme extérieure (B). Ici le mur d'enceinte et ses parapets sont restés en place, ainsi que neuf canons. L'un d'eux porte un blason, contrairement à ce que l’on pourrait penser il ne s’agit pas d’un canon espagnol car la couronne est anglaise… Alors, encore un canon oublié par un corsaire peu soucieux du matériel confié par sa reine ?
Avant de quitter cette plateforme en arc de cercle, on peut observer la dernière guérite en place (L), il y en avait sept encore visibles sur un plan de l’imposante défense établi par des Anglais en 1849.
On sort du fort par la nouvelle passerelle qui enjambe le fossé, au passage se devine sur la gauche, encore bien embrassées par la végétation luxuriante, les ruines d’une redoute.
Au cours de la visite, peut-être sur l'esplanade du corps de garde, face à l'ample beauté de cet espace sauvage, on pourrait avoir une pensée pour ces soldats espagnols, postés dans ce lieu coupé du monde et tellement inhospitalier à cette époque. Une même pensée pour ces marins anglais ou français montant héroïquement à l'assaut, pour ces esclaves africains ployant sous la charge lors des constructions et pour tous ces indigènes victimes du plus grand holocauste de l'histoire de l'humanité. Bien que d’origines bien différentes, un point commun les réunit, ils ont donné très souvent leurs jeunes vies, seulement pour regarder passer ici quelques tonnes de lingots d'argent et pour voir des puissances lointaines venir s'approprier des territoires par la force. Qui leur dira si cela en valait la peine? Qui pourrait nous le dire?
Sur le parc à voitures, nous retournons vers nos bruits et nos fureurs à nous. Les infos télévisées vespérales se chargeront de faire saigner notre ration quotidienne, les conflits armés pourvoyeurs d’images ruisselantes de rouge ne manquent jamais.
A la même heure, ici, calme et volupté reprennent leur place. Près des graciles fleurs du vieil albizzia, des oiseaux tout de noir et d'or vêtus couvent leur future progéniture, blottis au creux de leurs balanciers arachnéens qu’un alizé complice berce mollement. Pendules d'éternité. San Lorenzo s'endort...
Encore aujourd'hui, Victor Hugo pourrait l'écrire si joliment:
" Depuis six mille ans la guerre
Plait aux peuples querelleurs
Et Dieu perd son temps à faire
Les étoiles et les fleurs."
Retour sur la première partie de l'article
A suivre: Résumé historique
Principales sources de documentation:
« Portobelo Chronicles » de Patricia Mc Gehee (Portobelo 2001)
“San Lorenzo historia del Castillo el Real de Chagres” de J.M.Zapatero. (Madrid 1985)
Archives diverses (Panamá)