Nuchu, les statuettes sacrées des indiens Kunas (ou Gunas) du Panama

Publié le par Michel Lecumberry

  Dans le chapitre consacré à la médecine traditionnelle j'ai déjà évoqué ces petites statuettes de bois appelés nuchu*1 (prononcer noutchou). A l'intérieur de chaque case familiale on les trouve rangés verticalement dans une boite posée au sol. Hélas, les belles boites en bois patiné visibles il y a encore dix ans sont maintenant remplacées par de petites bassines en plastique bien moins esthétiques.

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                                  Nuchus d'une famille. Village de Yandub (2001)

  Chaque membre de la famille est représenté par un ou plusieurs nuchu qui sont là pour les protéger des mauvais esprits. En cas de problème de santé, assis près du hamac du malade, le guérisseur se saisit de la statuette concernée pour invoquer les divinités de la guérison, lui faisant même parfois subir des bains médicinaux.

  Les nuchus peuvent être sculptés par un membre de la famille ou par les guérisseurs, mais seul un nele peut les éveiller ou les désactiver.

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                                 Nuchus d'une famille. Village de Achutupu (2012)

  J'ai pu aussi assister parfois à des séances d'un autre ordre, par exemple un jour, en visite chez un ami j'entendis un chant psalmodié s'échappant de la hutte familiale. Ton gamin est malade? Non pas du tout, c'est une séance pour renforcer son intelligence et pour qu'il soit meilleur élève. Jetant un coup d'œil par l'embrasement de la porte, j'aperçu le jeune assis dans son hamac, il semblait s'ennuyer un peu, regrettant sans doute de ne pas être entrain de taper dans un ballon avec ses potes. Près de lui le "igar wisid"*2 chantait, s'adressant au nuchu qu'il tenait dans sa main. A terre, un petit mortier de terre cuite laissait échapper la fumée parfumée des huit fèves de café traditionnelles qui se consumaient favorisant le cheminement du chant vers la divinité interpellée*3.

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                                             Un nele et ses nuchus (photo floutée pour garder son anonymat)

  Le nele (prononcer nélé, c'est le shaman) utilise ses nuchu pour consulter les divinités. Il va également utiliser les statuettes pour obtenir la guérison. Il y a peu, lors de l'accompagnement d'un amateur d'art africain qui collectionne également des nuchu (désactivés…) nous avons pu assister à une séance très privée. Le shaman (dont je tairais le nom afin de lui éviter des ennuis pour nous avoir admis dans sa hutte à cette occasion et permis de prendre une photo de la scène pour mes archives), nuchu en main "traitait" par des chants psalmodiés une très jeune femme enceinte. Il prévoyait un proche accouchement difficile. A la fin de la séance, le shaman m'a indiqué en confidence que le bébé allait sûrement mal se présenter. Pour corriger cela, en prévision de l'accouchement, la nuit il pose son nuchu favori sur le sol et, en s'adressant à lui, le fait doucement pivoter. Le bébé devrait suivre le mouvement.

  Je suis retourné au village deux ou trois semaines plus tard, avec d'autres visiteurs que j'accompagnais, passant saluer mon désormais ami le nele, nous avons pu constater l'excellente santé de la jeune maman et du (tout) petit kuna encore un peu fripé. Il n'avait que quelques jours mais semblait déjà heureux de vivre.

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                                          Un nele sculpte un nuchu. Village de Muladub (2002)

  Evidemment durant toutes ces années passées au contact des kunas, j'ai entendu énormément de récits concernant ces statuettes sacrées. Je raconterai peut-être un jour quelques unes de ces anecdotes. Certaines bien sûr à la limite du croyable pour ces raisonnements cartésiens qui nous collent au cerveau comme vieux chewing-gum au talon de la chaussure. Quoiqu'il en soit, en ce qui me concerne, j'ai toujours respecté ces croyances. Mais, bien que guère plus superstitieux que le commun des mortels, je refuse toujours de toucher les statuettes "activées" par les nele. Nous possédons quelques nuchugana à la maison, la plupart offerts par des amis kunas mais tous "endormis", en tous cas nous l'espérons, pour le moment pas de bizarres et nocturnes manifestations intempestives sous notre toit.

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Nuchus personnels... exposés dans notre show-room d'artisanat traditionnel à Portobelo

  Les nele peuvent également utiliser des urkurwala, (nuchu géants que les kunas appellent familièrement des "balsa" car ils sont taillés dans ce bois). Ces grandes statues, qui peuvent atteindre un mètre ou plus, interviendront pour traiter des épidémies ou des malédictions frappant un village. Celui-ci est alors mis en quarantaine et de nombreux shamans des environs s'y réunissent pour obtenir la guérison.

  Tout récemment, un couple d'amis navigateurs ont pu voir un rassemblement de urkurgana sur la rive de l'embouchure d'un fleuve, ces curieux vigiles étaient là pour protéger le cours d'eau. Je rappelle que les villages se sont tous établis sur des îles proches de l'embouchure d'une grande rivière, les petits lopins de terre cultivés et les cimetières occupent leurs rives. Elles fournissent également l'eau douce et les lavandières s'y rendent le matin, tout au moins pour les villages qui n'ont pas encore l'eau courante venue du continent par des tubulures sous-marines. Les statues sacrées étaient là pour protéger ce trésor naturel que nos civilisations modernes gaspillent et polluent sans vergogne.

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                Les gardiens de la rivière

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                (détail de la photo précédente)

  A l'opposé de ces nuchu géants,  par leur taille, on peut en trouver de minuscules que certaines femmes kunas portent en pendentif pour être protégées des mauvais esprits durant toute la journée, un peu comme des gris-gris africains.

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                 Mini nuchu

 

 

 

 

Notes:

*1- Les Kunas l'écrivent maintenant nudsu avec leur nouvel alphabet (voir article). En langue kuna, le pluriel irrégulier est nudsugana

*2- Le Igar Wisid est celui des trois différents hommes-médecine qui s'adresse aux esprits par des chants psalmodiés. (Voir article sur la médecine kuna)

*3- La présence du cacao dans la tradition kuna a été évoquée dans l'article consacré au peintre Oswaldo de Leon Kantule. (Voir ici)

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