Kuna Yala, la médecine des shamans kunas

Publié le par Michel Lecumberry

   Les Kunas malgré toutes les tentatives de dominations venues de l’extérieur ont su garder intacte leur identité culturelle, ceci grâce à leur résistance aux invasions et à leurs rites et traditions transmis de génération en génération à l’aide de chants psalmodiés par les sahilas (voir organisation sociale). Au cœur de cette culture figure la médecine, bien que côtoyant maintenant la médecine occidentale, elle n'en demeure pas moins fortement ancrée dans le mode de vie.

   Les Kunas ont toujours pensé que le monde physique (neg sanaled), que nous percevons à l'aide de nos cinq sens, est sous-tendu et animé par le monde de l'esprit (neg burbaled).

Le bien-être de la Mère-Terre provient du bon équilibre de sa nature spirituelle, de même celui d'un individu découle d'un bon équilibre de son âme. Si cet équilibre est rompu par la collectivité cela entraîne inévitablement des catastrophes naturelles ou des épidémies. Au niveau individuel si l'âme est corrompue ou blessée un dérèglement de l'état de santé ou un accident va survenir.

mola-nele

  Les nele (shamans) devront donc entrer en contact avec les mauvais esprits pour dialoguer avec eux et essayer de les vaincre afin d'entraîner la guérison. Pour cela leur esprit va voyager dans les huit couches de royaumes, pour intervenir dans celui de la maladie et de la guérison.

   Là se trouvent deux types d'esprits: les boni (esprits du mal) et les nuchu (représentés par les statuettes de bois). Le nele utilise les nuchu pour combattre les boni dont le plus mauvais est nia, le démon.

nuchus1

  La plupart de ces statuettes en bois, qui mesurent environ vingt à trente cm de haut, représentent des hommes. Ils n'ont pas obligatoirement la morphologie ou la physionomie des indigènes. Ils sont peints parfois avec des vêtements d'étrangers, voire même avec des uniformes. Ce n'est pas ce que représente le nuchu qui est important, c'est le bois dans lequel il a été sculpté qui a telle ou telle vertu. On peut trouver une vingtaine de bois différents. Le plus utilisé est le balsa, il est tendre, ce qui veut dire qu'à l'image d'un homme souple d'esprit, il est intelligent.

nuchus2

  Il y a trois types de spécialistes de la médecine.

 Le nele, homme ou femme, le seul à posséder un pouvoir surnaturel inné. Généralement il est reconnu par d'autres nele. Souvent, lors de sa naissance un événement exceptionnel est intervenu. Par exemple sa mère meurt en couches, il est né le placenta collé au visage etc. Dès son enfance le futur nele fait preuve d'une intelligence rare, de pouvoirs de télépathie, de prémonition ou autres. Les grands nele ont le pouvoir d'envoyer leur esprit visiter les royaumes des Esprits et leur spécialité première est d'établir un diagnostic du malade.

   mola-plantes-med  
  Le Igar Nuled, l'homme médecine, botaniste remarquable, il connaît les vertus médicinales de toutes les plantes de la forêt équatoriale. Il les utilise pour préparer ses remèdes, potions et bains. Il peut aussi se servir de poudres tirées d'animaux morts, d'os ou d’écorces de bois broyés etc. Le cacao a une grande importance dans la médecine, il accompagne toutes les cérémonies. Des graines de cacao brulent dans un petit mortier de terre cuite (sianar) dans la case du malade. Sa fumée a des propriétés curatives mais elle favorise également la transmission des incantations adressées aux esprits. 

   Le Igar Wisid, lui est spécialiste des chants psalmodiés qu'il adresse aux esprits de la maladie et de la guérison. Il en a appris beaucoup. Du plus court pour soigner une petite fièvre au plus long qui dure huit jours durant lesquels une "équipe médicale" de plusieurs nele et igar intervient au niveau d'une communauté touchée par une épidémie ou par une malédiction. Durant ce traitement, le village est mis en quarantaine, des drapeaux rouges entourent l'île, personne ne peut y entrer ou en sortir.

mortier

   Igar Nuled et Igar Wisid n'ont pas de pouvoirs innés, ils ont longuement étudié leur spécialité auprès d’anciens. Parfois ces rôles s'entremêlent, un seul igar  peut connaître plantes et chants. De même, un nele peut avoir étudié afin d'ajouter une ou deux de ces spécialités à son pouvoir surnaturel.

   Quand une personne tombe malade, le premier diagnostic est fait par les membres de la famille, en particulier par les anciens, et après concertation de tous on applique une médecine mêlant chants et remèdes.

   Si le cas est exceptionnel ou semble grave, la famille fait appel au nele, celui-ci tente de se mettre en relation avec les esprits qui peuplent la hutte familiale. Il examine le patient, parle avec les membres de la famille pour connaître les derniers évènements survenus et l'état d'esprit récent du malade.

  Il fait connaître son diagnostic et les "hommes-médecine" interviennent avec l'aide constante des femmes de la famille. Si le traitement échoue c'est qu'il n'a pas été possible d'entrer en contact avec les esprits ou que ceux-ci n'ont pas voulu que le malade guérisse.

cacao

  De nos jours, dans des cas délicats ou graves, parfois le médecin panaméen du dispensaire (il y en a un sur quelques grandes îles) va s'occuper d'un malade en collaboration avec les nele. Mais le plus souvent lorsqu’un malade est entre les mains du shaman, nul ne pourra intervenir lorsqu’il est au chevet de son patient. Les igar nuled ont une connaissance de la médecine par les plantes, issue de plusieurs milliers d'années de pratique, que nos sociétés occidentales cherchent à retrouver sous l'étiquette un peu plus "in" de phytothérapie. Sûrement aussi que leur connaissance des forces cachées de la nature et des humains contribue à obtenir des guérisons.

 

Notes :

La mola du haut montre un nele près du hamac d’un malade. On remarque le mortier dans lequel brûle des graines de cacao et la petite pirogue de cérémonie

La mola du bas représente des plantes médicinales

Les nuchus ont été pris en photo dans des cases d’amis kuna

Molas et mortiers in coll Coco et Michel

 

 

L’article ci-dessus est extrait du livret "Molas et Traditions Kunas" de l’auteur du blog

Commenter cet article