Le Surcouf, sous-marin français coulé en Mer Caraïbe panaméenne.
Madame Catherine Peck, la très efficace et sympathique Consule de France à Panama, m’a envoyé un message me demandant des renseignements sur un bateau français -le Surcouf- qui aurait disparu en eaux territoriales panaméennes « au cours du siècle dernier », et dont "l’équipage serait enterré au Panama".
Madame Peck imagine que je suis un puits de science en ce qui concerne le passé historique du Panama. Certes, c’est très gratifiant mais bien loin d’être la vérité, car en autres lacunes, il y a ce Surcouf-là qui ne provoque aucune résonnance dans ma mémoire. Cependant … il y aurait bien ce compatriote que j’ai guidé pendant une huitaine … voici presque dix ans ... est-ce lui qui m’a parlé d’un bateau de guerre français coulé au Panama, lors de la Seconde Guerre mondiale ?
Donc, plongée immédiate dans le Web. Plongée, c’est tout à fait le mot qu’il fallait utiliser vu que précisément le Surcouf est un sous-marin … et pas n’importe lequel. Bigre ! L’affaire s’annonce passionnante car il est en son temps le plus grand -110 m-, le plus puissamment armé, le plus sophistiqué, le plus … tout des sous-marins du monde !
Commandé en 1926 par le gouvernement de Raymond Poincaré, lancé en 1929 et armé en 1934 dans les chantiers de l’arsenal de Cherbourg, sa mission principale est le contact et la protection de l’empire colonial français; trop vaste empire pour un seul bâtiment, il faut préciser que la commande de l’Etat prévoyait initialement la construction de trois exemplaires dont un seul fut mené à bien.
Dans les années qui suivent son armement, afin de tester hommes –ils sont 126- et matériel, on retrouve le Surcouf en Mer des Antilles françaises et le long des côtes occidentales africaines. Je passe volontairement sur la plupart de ses caractéristiques techniques et militaires* qui s’expriment dans un vocabulaire hermétique pour le plus grand nombre d’entre nous, pour n’en retenir que quelques unes parmi les plus étonnantes.
D’abord son autonomie, qui frôle les 20 000Km, soit la moitié du périmètre terrestre ; tout comme les plus grands bâtiments de guerre de surface –les croiseurs- il est armé de canons de 203 mm qui projette des obus de 120 kg à une distance de 27,5 km. Pour l’abordage des navires ennemis, il héberge en ses flancs une grande vedette à moteur dirigée par des commandos marine embarqués en sus de l’équipage habituel, et aussi, merveille des merveilles, un hydravion aux ailes repliables utilisé pour les reconnaissances et réglages de tir, car bien souvent les cibles se situent au-delà de la ligne d’horizon visible depuis le Surcouf. Impressionnant, non ?
Mais, je me dois de vous rassurer au plus vite. En 1937 notre sous-marin préféré se pose en cale sèche dans le port de Brest pour refonte majeure. Concepteurs et utilisateurs ont conscience des mille maux qui l’accablent : besoin urgent de mises au point pléthoriques et complexes, problème d’étanchéité des tourelles d’artillerie, instabilité chronique dont les énormes canons sont responsables … Nous sommes bien dans le contexte –ceci dit avec tendresse- de ces admirables machines volantes, flottantes et autres, engendrées par le génie français, et notre Surcouf s’inscrit avec éclat dans notre tradition des technologies avant-gardistes glorieuses mais d’utilité réduite, tels que le France, le Concorde, le Rafale, le … mais quel panache !
L’épopée guerrière** du Surcouf sera brève –moins de deux ans- mais intense : 70000 km parcourus, 30 missions de patrouille, d’escorte de convois et une quinzaine de raids. Elle commence en mai 1940 lors de l’invasion allemande en France. Le Surcouf, travaux inachevés, incapable d’immerger, appareille précipitamment de Brest, et rejoint les côtes anglaises ; accueil froid (nous y sommes habitués) voire glacial, qui tourne à l’affrontement. Quelques morts inutiles de part et d’autre, puis tout s’apaise. Bricolé, rafistolé (quels autres mots peut-on employer ?) notre submersible quitte Plymouth sous pavillon des Forces Navales Françaises Libres pour rallier tant bien que mal, l’arsenal américain de Portsmouth ; accueil rigolard (nous y sommes habitués) mais cordial ; Portsmouth, où, disent laconiquement les textes, il sera « modernisé ».
Pearl Harbour, 7 décembre 1941 : événement majeur qui provoque l’entrée des Etats-Unis dans la Seconde Guerre mondiale ; dans ce désastre, ils vont perdre la totalité de leur flotte du Pacifique ; cette carence en matériel de guerre et en hommes aptes à les animer, ne sera pas sans conséquence sur le destin du Surcouf. Au Panama, précisément dans la Zone du Canal, cette enclave américaine qui longe et borde le Canal, la tension est extrême. Les autorités craignent, non sans raison, une attaque massive des sous-marins allemands et japonais. On fait alors appel au Surcouf pour renforcer la protection de ce lieu stratégique. Il est attendu le 19 février 1942 à Cristobal, port principal de la ville de Colon, où il n’arrivera jamais … car dans la nuit précédente, confondu avec un grand sous-marin ennemi, il sera bombardé et coulé par l’aviation américaine.
Depuis presque soixante-dix ans, en Mer Caraïbe panaméenne, gît l’épave du Surcouf par des fonds avoisinants les 3000 mètres, à 140 km environ au nord-est de Colon. Pendant les jours qui suivirent, la mer déposa des cadavres sur les plages de la Pointe San Blas. Ils furent recueillis et ensevelis par la population locale, les indiens Cunas. Parmi ces corps anonymes y avaient-ils ceux du Commandant Georges Blaison, du radio Marcel François, du mécanicien Jacques Dufour, de l’armurier Louis Collobert, de l’électricien Jean Priol, …? Finalement, j’adresse un salut fraternel et respectueux aux 126 de nos compatriotes qui ont perdu leur vie dans ce pays où nous vivons la nôtre ; au Surcouf aussi, car les hommes, à leur insu, arrivent à transmettre un peu de leur âme aux objets inanimés qu’ils ont aimé.
Une belle peinture (aquarelle et gouache) de Grzegorz Nawrocki, à voir (elle est à vendre...) ici
Notes:
* en écrivant "le Surcouf sous-marin français" la première page du Web donne tous les détails techniques.
** deux livres pour en savoir plus : "L’épopée du Surcouf", Maurice Guierre, éditions Bellenand et "Le croiseur sous-marin Surcouf" Claude Huan, éditions Marine Edition.