Histoire du Panama: Les Foires de Portobelo
Après l’attaque de William Parker, Portobelo connut quelques années de tranquillité durant lesquelles la Foire annuelle pouvait battre son plein.
Le “Conseil des Indes”, créé par Felipe II un an après la fin des voyages de Christophe Colomb, siège durant quelques années dans la Cathédrale de Séville puis dans un magnifique bâtiment “la Casa de Contratación”*1. Cet organisme qui gère tout le commerce avec les Indes va faire construire deux flottilles basées à Séville:
- la Nueva España flota qui naviguera vers Vera Cruz au Mexique.
- la Tierra Firme flota laquelle effectuera les voyages aller-retour vers Portobelo*2
Le plan prévoit une flotte par an, alternativement sur chaque destination. La protection est assurée par un ou deux galions de guerre pour dix navires de commerce. Le projet se met rapidement en place et dépasse les prévisions, entre 1600 et 1610 on compte déjà huit flottilles. Puis, après l’achèvement de ses deux forts principaux, le trafic devient plus régulier sur Portobelo et chaque année une flotte fera l’aller-retour à la période des alizés.
La Foire prend à cette époque une grande importance. Les navires arrivent pleins de fournitures et de denrées alimentaires, à part quelques vaches, des poulets et du poisson il n'y a pas grand-chose disponible sur place. Il faut nourrir des milliers de personnes durant quatre à six semaines, en temps normal la population n'est que de sept à huit cents personnes. On apporte aussi d'Espagne de la poudre, des armes et quatre à cinq cents soldats. Ces militaires arrivent pour assurer la relève de ceux qui retournent en Espagne ou pour remplacer les pertes. Par la même occasion, ils protègent les bateaux en cas d’attaque de pirates.
A Portobelo, il faut construire des casernements provisoires pour les marins et des enclos pour les centaines de mules qui affluent de toute la colonie. Les artisans et marchands de Panama, de Nueva Granada (Grande Colombie) et du Pérou qui sont venus avec leurs marchandises sont obligés de louer très cher toutes les chambres disponibles.
Depuis l’escale faite à Cartagena de Indias les estafettes sont parties en courant pour informer Lima et Bogota de l’arrivée de la flotte. Dès lors, les trains de mules chargées de lingots d’argent et d’or vont se succéder sur le “Camino Real”*3. Chacune porte cent vingt kilos d’argent en barres de huit kilos. Certaines transportent aussi les marchandises qui sont destinées à l’Espagne: cuir*4, sucre, tabac, cacao etc.
Le jeune missionnaire anglais Thomas Gage*5 qui passe ici en 1637 et qui écrira un livre sur son voyage aux Indes raconte:
“…ce qui m’a le plus surpris fût de voir les trains de mules qui arrivaient de Panamá chargées de barres d’argent: en un seul jour j’ai compté 200 mules chargées de rien d’autre. Après le déchargement au marché public il restait là-bas des tas de barres d’argent comme s’il s’agissait de tas de cailloux dans la rue, sans crainte ni soupçons qu’elles se perdent…
…ainsi après ces quinze jours j’ose dire et affirmer, qu’il n’y avait pas dans le monde de foire plus grande que celle de Portobelo, inclus les marchés espagnols et ceux du Pérou, Panamá ou autres lieux”.
Le Conseil des Indes, par un décret de 1611, a ordonné la construction d’un bâtiment pour contrôler le commerce des marchandises et y prélever au passage les taxes royales. Le texte précise: "Il faut le prévoir à l’endroit le plus propice et avec seulement une porte d’entrée et une porte de sortie pour éviter les fraudes". Le beau bâtiment sera construit entre le couvent de la Merced et les pontons.
Un document, daté de 1729, donne quelques chiffres de l’activité commerciale: en 1702, quarante cinq flottes de galions étaient déjà arrivées à Portobelo, aucune ne transportant moins de trente millions de pesos.
L’importance de ces foires va encourager davantage la piraterie dans la région. D’autre part, les prix pratiqués à cause des taxes importantes prélevées vont inciter les Hollandais, Français et autres à développer un important marché de contrebande.
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Notes :
*1- Le magnifique bâtiment de la “Casa de Contratación” de Séville (Maison du Commerce) sert aujourd’hui de Bibliothèque Universitaire et de Maison des Archives des Indes. Tous les documents traitants de cette époque de la Conquête peuvent y être consultés.
*2- Certaine galions faisaient escales à Cartagena de Indias
*3- Voir article sur les vestiges du Camino Real
*4- Il était interdit de tanner les peaux au Panama, celles-ci étaient envoyées en Espagne et revenaient en produits finis (bottes, selles etc.)
*5- Thomas Gage, (né en Angleterre en 1597-mort en 1655 à la Jamaïque) devint missionnaire dans la Caraïbe pour le compte des Dominicains espagnols. En 1648, il publie "A New Suevey of the West Indies". Livre dans lequel il fait part de ses observations (ou plutôt espionnages ?) sur toutes les possessions espagnoles de la région.