Le Canal de Panama, les porte-conteneurs Panamax
Pour toutes celles et ceux qui ont pu voir de près ces énormes navires débordants d’empilages géométriques de gros coffres-forts, le qualificatif est évident : ce sont des monstres !
Petites expériences personnelles.
Tu es plutôt tranquille, le voilier vogue mollement sur une parcelle d’océan Atlantique. Il y a peu, le sextant t’a situé proche d’aucune terre, et voila qu’une tâche sombre fleurit à l’horizon. Pourtant déjà bien éveillé, tu descends vérifier sur la table à carte, sait-on jamais… Ce que tu as pris pour une chiure de mouche serait-elle en réalité une île ? En sixième, ta prof d’histoire et géo a-t-elle omis de te dire la présence de quelque archipel aimant la grande solitude ou bien encore l’Atlantide a-t-il fini par surgir vraiment de l’imaginaire des grands rêveurs ? Remonter vite sur le pont, histoire de voir quel type de petits hommes verts peuple ce continent mythique revenu en pleine lumière. L’île s’est bigrement rapprochée ! C’est qu’elle flotte alors… Survolé d’une odeur de vanille, l’océan prend soudain pour toi une couleur de crème anglaise… et pourquoi pas des sirènes meringuées tant que tu y es ? A bord pas de moquette à fumer, l’ivresse du grand large alors ? Le temps de te poser la question que déjà, non loin de ton bord, l’île de containers empilés défile silencieuse, un brin inquiétante, coupant ton horizon en trois. Gargantuesque, le monstre s’en sert la plus grosse part. Mais, courtoisement, il te rend bien vite la ligne de mire, elle est intacte, le voilier aussi, ouf !
Revenu depuis quelques temps sur le plancher des vaches, te voila flânant près des écluses du Canal de Panama à Gatun, quand justement un de ces monstres s’approche, faisant mine d’entrer. Aussi impressionnant qu’au milieu de l’Océan ! Et là, on se pose deux questions. Les mêmes qu’à la ville, lorsque l’on croise de ces jeunes femmes qui, pour suivre quelque mode actuelle, ont enfilé autour de leurs jambes d’anophèles anorexiques une seconde peau, apparemment adhésive, appelée en d’autres circonstances un blue-jean. – Comment ont-t-elles pu rentrer là dedans ? Et question subsidiaire : comment vont-elles pouvoir en sortir ?
Et bien oui, incroyable, guidé par ses huit mules*, à la force de ses puissants moteurs le monstre va réussir à se glisser dans les chambres d’écluses. Au passage, il doit sûrement remercier ses concepteurs d’avoir respecté à la lettre les normes dites « Panamax ». Il peut ainsi se faufiler entre les portes au lieu d’être obligé d’aller se les geler au Cap Horn. En fait, il est presque à l’aise : de chaque côté (oups ! on appelle ça des bords…) il lui reste un peu de place. D’ici son prochain voyage, l’ogre mangeur de containers pourrait même relâcher un peu son régime draconien, pensez, sur chacun de ses flancs il lui reste deux pieds… Une voix : - C’est quoi cette histoire de 2 pieds ? Ben… tu vois, le Canal a été construit par les américains, chez des gens qui le mesureraient "normalement" (par exemple au Japon, ne soyons pas chauvins) on dirait: 61 cm, en exagérant à peine de 4 mm. Ajoutons que pour aller mesurer des longueurs en pieds sur l’eau… vaudrait mieux s’appeler Jésus, non ?
Sur la longueur, un peu plus de latitude (sans jeu de mot…) : pour ne pas toucher aux portes, le monstre dispose de 10 m à partager entre devant et derrière sa longue carcasse. Il ne doit pas excéder 294,10 m, la chambre d’accueil lui proposant sa longueur utile de 304,80 m.
Une petite visite aux écluses vous livrera, dans l’émerveillement, la réponse à vos questions : oui, ils y rentrent et oui, ils peuvent en sortir.
J’entends à nouveau une voix ensommeillée, là-bas au fond du blog, tout près du radiateur, sûrement la même qui demandait tout à l’heure ce qu’était cette histoire de pieds :
- Et pour les jeunes anophèles à la mode ? –Va savoir, Charles…
Déjà s’annoncent pour bientôt des super-monstres : les Pospanamax et de super-écluses pour les accueillir sur le Canal. Mais, pardonnez-moi, j’en garde sous le pied, ou sous le clavier plutôt, pour vous livrer de prochains articles à leurs sujets.
Note: * On appelle ici "mulas" (mules) ces locomotrices qui prennent en charge les navires pour les guider bien au centre des écluses. Un futur article leur sera consacré.