La cérémonie de la puberté des jeunes filles chez les Kunas du Panama (2ème partie) )
Ce matin, au petit jour, les machettes des hommes de la famille, affilées comme les coupe-choux de mon barbier de voisin, partent en pirogue vers le continent, mission particulière. Oubliant les collectes variées habituelles, manioc, bananes plantains ou autres noix de coco, on va trancher de la canne à sucre. Un maximum de cannes à sucre. Il s’agit, au retour, de bâtir des pyramides de ces longs fagots poisseux au pied d’étranges machines disséminées dans le village.
Demain, dès potron-minet, vous les verrez se mettre en action. Depuis la fête précédente, cela ne dure jamais bien longtemps, chez les Kunas le taux de natalité est encore un peu plus généreux que dans nos pays, elles roupillaient, servant de sèche-linge ou d’engin de parcs pour enfants. Pour servir le Gaï Souar (c’est son nom ici) ils, ou elles, sont trois. Se repèrent de loin, un Noureïev ou une Margot Fonteyn*, faisant leur séance de barre d’une curieuse façon. Ils sont carrément montés dessus… Tu les aperçois sauter comme un springbok en folie monté sur trampoline. (je ne parle pas ici d’un deuxième ligne de rugby sud-africain émergeant d’un alignement de touche mais de sa mascotte… la gracieuse et jaillissante antilope).Tu t’approches et comprends vite l’usage de la machine.
Description : dans le tronc d’un arbre, le plus souvent un moignon de cocotier, mais parfois encore en vie, on a pratiqué un évidement et, là dedans, fiché deux barres rondes de bois dur superposées. Une courte, qui pour rester fixe prend appui à son autre extrémité sur un petit poteau, et juste au dessus une longue, celle-ci libre pour tout mouvement alterné vertical. C’est justement là au bout que sautille le préposé, se maintenant en équilibre sur la poutre capricieuse grâce à de longues béquilles. Le but est de faire monter et descendre leur perchoir flexible en cadence, les deux autres acteurs en profitent, placés qu’ils sont de part et d’autre de l’engin, pour faire passer la canne à sucre entre les deux barres. J’ai vu quelquefois d’éminents sauteurs pratiquer quelques figures libres, façon entrechats, d’où ma référence précédente aux étoiles de cet art sublime.
Rapidement on se rend compte, surtout si tu as été invité à collaborer au projet, que la mâchoire ainsi actionnée pour ruminer du végétal peut facilement se transformer, le temps d’une inattention, en terrible carnassière. Ne pas laisser trainer sa mimine, le jus, récolté dans la bassine placée juste au dessous, prendrait une teinte rouge, pas forcément appréciée des futurs consommateurs...
Je ne sais pas si j’ai été suffisamment clair dans la description du fonctionnement de l’engin, aussi, comme une image vaut mieux qu’un long discours, au cas où, je joins quelques clichés.
La bassine de récupération, sitôt remplie, est transportée à des fins de transformation chimique, dans la "cuisine municipale". Ici commence la deuxième partie de cette folle journée de préparation du breuvage tant espéré des villageois.
Note :
*- Dame Margot Fonteyn, danseuse étoile britannique née en 1919. Elle fût la partenaire fétiche de Rudolf Noureïev pour former durant des années le couple le plus célèbre du ballet. Anoblie par la reine en 1956, elle finira sa vie à Panama, où elle s’était retirée pour vivre près de son époux panaméen, Roberto Arias, le 21 février 1991. Un buste rappelle son passage dans l’entrée du Teatro Nacional de la capitale.
Pour les amateurs, vidéo : Margot Fonteyn et Rudolf Noureïev dans un pas de deux du Lac des Cygnes de Tchaïkovski à l’opéra de Vienne
Il arrive que parfois, les voyageurs que j’accompagne chez mes amis Kunas aient la chance d’être là au bon moment, pour s’essayer à l’exercice mais aussi pour rentrer dans la salle des fêtes, le jour J, et goûter au curieux et enivrant breuvage parmi les villageois pour le moins exubérants.