L'association "Rugby French Flair" au Panama. (3) A l’école.

Publié le par Michel Lecumberry

  Direction banlieue nord, San Miguelito. Quartier classé dans les plutôt "défavorisés", les plus "difficiles" aussi. Pas besoin de faire un dessin, pas là où se balader seul la nuit. Mais quartier type pour ce qui est des objectifs de l’Association, terreau idéal pour semer des graines d’Ovalie.

  Chacun a pris place dans le car pullman. La moquette, souple lichen envahissant sol et parois, les sièges inclinables et l’ambiance feutrée d’un bureau ministériel, tout concourt à vouloir refermer les quinquets. Heureusement, le micro me laisse une chance de remplir correctement la mienne, de mission. Effacer le temps du parcours tout en éclairant sur le Panama. Conter plutôt que réciter, le passé et le présent du pays peuvent se décliner en anecdotes parsemées de sourires. Ces hommes sont attentifs, intéressés et relancent parfois par des demandes de précisions. Auditoire parfait et amical, nous arrivons, aucun ange n’est passé.

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  Manœuvres savantes du chauffeur dans la ruelle qui court entre collines aux grappes d’habitations, cousines de favelas brésiliennes. Le demi-tour délicat nous mène devant l’entrée du groupe scolaire communal. Figurez-vous que, durant le suave chuintement de la porte qui s’escamotait devant moi, la vision de ces jeunes tout excités dans l’attente fiévreuse de leurs invités sur le trottoir, une de ces visions d’un "déjà vu quelque part", m’assaille. Chacun connait cette impression floue qui vous jette parfois dans des recherches de situations déjà connues par le passé. Et vous cherchez vers laquelle, cette image, ce parfum ou cette musique vous renvoie. On ne trouve pas, ou rarement. Ce qui d’ailleurs incite certains à s’en référer à une vie antérieure. Vous voyez de quoi je parle, mais là pas le temps pour moi de chercher à connecter des neurones. Déjà les petits poissons pilotes guident leurs hôtes vers l’intérieur.

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  Le préau, cerné de classes aux murs décorés, est inondé aujourd’hui d’une marée de chaises. L’école célèbre la Fête des Mères. Au fond, une estrade et un micro dont s’empare la directrice pour souhaiter la bienvenue à leurs impressionnants invités. Par la voix de leur président, le groupe remercie de l’accueil. Ces civilités débouchent sur un suspens qui se lève, les gros ventres des sacs de voyage et les cartons charriés depuis la France vont déverser leurs cadeaux. Ces hommes, aux cœurs gros comme ça, vont se plier en deux, certains en quatre… pour se mettre au niveau des gamins. Ils vont distribuer des maillots, des paires de crampons et des ballons qui ont fait le voyage pliés comme des olives fripées par un soleil méditerranéen lyophilisant. Dans un coin, deux préposés du groupe actionnent le piston d’une pompe, avec contrôle manométrique s’il vous plait, le cuir retrouve sa dignité.

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  Ce long moment d’allégresse partagée s’interrompt. Des mamans ont préparé la soupe traditionnelle panaméenne, le sancocho*1. Nous irons le consommer, cernés d’une légion d’ordinateurs aux yeux fermés, réfectoire improvisé dans la salle de cours d’informatique. La bonne humeur règne autour de la conviviale et chaude collation.

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  Mais très vite le naturel revient au galop, sûrement que des fourmis titillent les jambes. Les «olives» sus nommées ne sont jamais loin d’une passe, lesquelles ne sont jamais loin d’un terrain. Le vaste édredon d’épaisse poussière de latérite s’étend là, juste derrière une rangée de classes. Tandis qu’une poignée de ces anciennes gloires du rugby prend place sur les bancs d’une minimaliste tribune, ombragée par des tôles ondulées portés à blanc, les autres font déjà courir la balle. Des ateliers se mettent en place. Et là, à cet instant bingo ! J’ai trouvé ma réponse. Mais oui, c’est bien sûr… Invictus !

  Les amateurs de rugby et ceux de cinéma, encore plus ceux qui cumulent, savent que je me réfère au beau film de Clint Easwood. Le long pschitt moelleux de la porte du car de luxe s’ouvre. Emmenés par Francois Pienaard (Matt Damon) les Springboks*2, réticents au départ, descendent sur un terrain pelé. Lequel n’a connu jusqu’alors que des pieds nus poussant de vagues ballons ronds, quand ce n’est pas des boites de conserves. Sensibles aux yeux émerveillés de la grappe de gamins s’agglutinant aussitôt autour de leur idole Chester Williams*3 et comprenant sûrement que «Madiba»*4 voulait utiliser les valeurs du rugby pour aider à unifier son pays, les joueurs forment des ateliers. On va jouer, transmettre le savoir. San Miguelito, Soweto, mêmes images.

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  Ici, ascenseur d’une "touche" improbable, deux "double-mètres" envoient au ciel, tour à tour, de minuscules gamins hilares qui tentent d’attraper au vol un ballon fuyant. Plus loin un paquet de fourmis tentent de mettre sur les fesses un éléphant plié en deux, phase de "mêlée" un peu spéciale, le "pilier" rigole et fait face avec enthousiasme. Par là, c’est plus sérieux. Travail de base d’un ¾. Petit échauffement, Lolo Cabannes et Yann Dalaigue servant des passes vrillées à des gamins qui ont intérêt à suivre le premier précepte : mets tes mains en avant pour la réception ! Faute de quoi, précision diabolique du lanceur, le ventre du petit partenaire va se manger l’obus…

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  Un match s’improvise, formateurs partagés dans les deux équipes. Ravi, le prof de sport de l’école, qui a monté une équipe depuis quelques années, se voit apostrophé par un gamin, un peu enveloppé mais vif : m’sieur, on peut se rentrer dedans ? Non, garde ça pour le tournoi de demain ! En effet il y aura lever de rideau avant le grand match tant attendu : Club Balboa vs Rugby French Flair. L’arbitre siffle un hors-jeu, c’est du sérieux ! Le joyeux face à face se poursuit.

  Un moment, je rejoins les «sages». Ne croyais pas que c’est l’heure de la sieste ici. Tous ont des yeux de sélectionneurs. On cherche à détecter les bons joueurs de demain. Garuche a repéré le petit enveloppé, tandis que d’autres soulignent les qualités de la gamine, en effet fort douée, présente dans la ligne d’attaque et qui milite sûrement pour l’égalité homme-femme…

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  Good match ! On s’applaudit. Quelques photos souvenir, déjà retour vers le bus. Les gamins monteraient bien avec leurs nouvelles idoles. On tend des marqueurs, réclamant des autographes. Qui sur un ballon, qui sur son T-shirt. Un autre, qui part avec une trace à même la peau, ne se douchera sûrement pas et s’endormira ce soir avec des rêves d’essais de 80 mètres.

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  Descente vers la ville. Peu d’heures de repos, ce soir c’est blazer et cravate. Grand Gala de bienfaisance dans la salle des fêtes de l’Hôtel Bristol.

 

 

Notes :

*1- Soupe de poule et légumes traditionnelle. Un prochain article est prévu.

gazelle*2- Le springbok est une gazelle d’Afrique méridionale (le nom signifie antilope sauteuse en afrikaans). C’est l’animal fétiche de l’équipe de rugby d’Afrique du Sud. Le film Invictus retrace la préparation et le déroulement de la Coupe du Monde de 1995. Nelson Mandela va s’appuyer sur les Springboks (jusque là symbole de l’Apartheid) pour l’aider à la réconciliation du pays dont il a été élu président en 1994. Les Springboks remporteront cette Coupe en battant les All Blacks.

Laurent Cabannes, Yann Delaigue et Emile Ntamack, ici en tournée avec le Rugby French Flair, faisaient partie de l’équipe de France en 1995. Ils doivent se souvenir des conditions météorologiques démentielles (les trombes d’eau auraient surement justifié un arrêt du match…) de la demi-finale perdue 19-15 contre les All Blacks. La France finira 3ème en battant l’Angleterre 19 à 9.

*3- Chester Williams, le seul noir de l’équipe des Springboks de 1995, jouait au poste d’ailier.

*4- Madiba : nom du clan tribal de Nelson Mandela.

 

A suivre, la soirée de Gala

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Quelques images du film Invictus

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