Escapade de 3 semaines en Afrique du Sud, le Kruger et alentour. (art 3)
Des émotions comme celles vécues avec le léopard, notre périple nous en a réservé quelques autres, dont deux aussi fortes, à la Motswari Private Game Reserve. Notre équipe guide/pisteur n’aimait rien moins que d’aller titiller les éléphants rencontrés sur les pistes ou en lisières de celles-ci.
La première fois, c’était face à trois jeunes, qui, se serrant les coudes s’amusèrent à sortir leurs biscotos d’ados de banlieue chaude devant le capot du Land, nous refusant le passage. Mais déjà balèzes, les types, croyez-moi… La deuxième encore plus impressionnante. Là, c’était un vrai mâle le bonhomme. Enfin, bonhomme… pas si évident à l’usage qu’en firent nos intrépides guides. Bon, toi tu as lu souvent la description des symptômes de l’énervement d’un pachyderme. Les deux grandes esgourdes, dimension planisphères, qui se mettent à s’agiter pour faire peur, des barrissements contenus mais d’un bruit sourd à foutre les chocottes à un commando marine américain, la poussière soulevée par un souffle puissant comme le réacteur d’un Airbus au décollage et un dandinement qui ne dit rien de bon. Quand tu pistes au Kruger avec ta carriole de location, tu prévois, je veux dire. Les premiers safaris persos t’es même un peu timoré, si vous voyez… D’autant que sur le Net, tu les as vus jouer avec des voitures, comme à la fête foraine tu culbutes les boites de conserves pour gagner une peluche ressemblant au lion rencontré hier. Et ces vidéos d’amateurs, tournées justement dans le Kruger…
Mais Josh et Bongeni, eux, les signes d’alerte, ça doit être du chinois, cherchent même pas à déchiffrer le message ! L’engin monumental, déjà en ébullition, tient le milieu de la piste, tous signes d’agacement décris plus haut, en belle évidence. Et il avance doucement… Le Range Rover aussi…, centimètre après centimètre. Partie de poker menteur ! Silence de mort dans le 4x4 ouvert à tous vents, y compris à celui que fait la trompe, métronome rock’n’roll, prête à ventiler façon puzzle le pisteur qu’elle va bientôt prendre pour un jouet. Lui, impassible, ne regarde qu’une chose : l’œil très proche du pas content. La distance diminue, la taille des ivoires, elle, augmente. Déjà au départ c’était du XXL. Phénomène d’optique bien connu, plus t’es près plus ça parait gros. Les derniers centimètres se font au compte goutte. Très franchement, lorsque Josh stoppe sa provoc, la pointe des défenses est à moins de 4 mètres du capot, ce qui pourrait déjà être grave pour les dégâts sur la carrosserie. Mais imaginez que la frimousse espiègle de Bongeni est au même niveau que le radiateur du futur jouet de monsieur l’énervé. Il en est à ce stade, le monstre de muscles. Inutile de préciser que la trompe, elle, pourrait atteindre, si folie lui en prenait, le deuxième rang de spectateurs. Moi, j’ose même pas libérer un clic du boitier tenu d’une main plus tout à fait sèche… vous connaissez l’histoire du battement des ailes d’un papillon... Réaction en chaine que ça s’appelle… Mais Jean nous prend un petit cliché, un peu tremblé mail il y a de quoi… avec son discret compact Sony, juste avant l’ultime mètre d’approche.
Le regard de Bongeni ne quitte pas le petit œil expressif du colosse. A un moment, d’un signe, que seul Josh a perçu, tellement il devait être furtif, celui-ci embraye dans du velours sur la marche arrière. Centimètre par centimètre, le Land recule maintenant. Deux mètres pas plus. On veut bien céder, mais pas être ridicule, quand même ! En fait le vieux mâle pense exactement la même chose. Alors, il dévie imperceptiblement sa lente, très lente marche vers le buisson bâbord. Et, petit signe de dédain à notre adresse, d’un geste doux, pèle avec délicatesse du bout des lèvres de sa trompe sa petite branche d’acacia, comme ça, innocemment, en passant. Grand moment!
L’autre moment d’anthologie, nous l’avons vécu aussi avec eux lors du dernier Sunset Game Drive. A ce moment béni où les ombres commencent à s’allonger. Nos deux compères ont dû avoir une info. Nous nous dirigeons vers un point d’eau déjà visité lors de balades précédentes. Josh stoppe à quelques mètres de la rive de la grande flaque. Même pas à l’abri des regards des assoiffés anonymes, que visiblement nous attendons. Pas longtemps. Arrivent des buffles, un petit troupeau. Vite bousculés par d’autres arrivants. Une chaine infinie va défiler. Nous restons près de 3/4 d’heure. Au début, les clients du bar sont corrects, mais bientôt les suivants perdent leur légendaire flegme. Ça bouscule au portillon. Ça pousse fort, on descend dans l’abreuvoir naturel. On se vautre. L’eau se transforme en boue. Ça boit quand même, avant de se retirer pour céder la place. Et ça dure, ça dure… Nous sommes loin du lodge, il faut s’en aller, en Afrique du Sud, le brai (braï ! le barbecue de viandes et saucisses) c’est sacré. De plus, celui du Motswari se respecte. Lorsque nous quittons le point d’eau envahi de buffles, le spectacle est énorme. D’un horizon à l’autre les bêtes défilent, des centaines, surement plus d’un millier. C’est une migration de printemps. Elles s’en vont chercher l’herbe nouvelle, la pluie fera son apparition quelques jours plus tard, pour nos derniers jours en Afrique du Sud.
Après ces moments de stress, on ne se fait pas un sourire aujourd’hui ? Bon, allez deux petits, pour la route, celle qui mène au prochain article.
(des USA) : - S’il vous plait envoyez-nous la liste de tous les docteurs d’Afrique du Sud qui disposent de sérums pour les piqures de serpents à sonnette.
- Les serpents à sonnette vivent en A-ME-RI-QUE, l’endroit d’où VOUS venez. Tous les serpents d’Afrique du Sud sont inoffensifs, on peut sans risque les manipuler et ils font de bons animaux de compagnie !
(Italie) : - Pouvez-vous m’indiquer les régions d’Afrique du Sud où la population féminine est inférieure à la population masculine ?
- Oui, les night-clubs gays !
Avant de se diriger vers la suite, que je vous raconte un autre grand moment. Enfin, si vous voulez… Quand vous roulez sur les loop du parc Kruger ou d’ailleurs le nombre de voitures amassées à l’arrêt, vous indique de loin l’intérêt de l’observation. Mais avant, un loop c’est quoi ? Vous pouvez prendre une feuille de papier et un crayon ou faire preuve d’un peu d’imagination et faire de la géométrie dans l’espace. Tracez une ligne plus ou moins droite de haut en bas, disons qu’elle pourrait figurer la route goudronnée Nord-Sud du Kruger. A un endroit, choisi de vous, placez la mine du crayon sur cette ligne et dessinez un pétale de fleur, plus ou moins régulier, en revenant soit au point de départ soit un peu plus loin. Ca y est vous avez un loop (une boucle en bon français). Multipliez l’opération. Sur le terrain, il y en a des centaines de ces pistes. Des deux cotés, parfois aux bords d’un fleuve. Dans le Kruger elles sont repérées sur la carte d’une lettre S suivie d’un chiffre. Ailleurs elles peuvent porter des noms imprononçables, je ne me suis pas renseigné mais dans les derniers parcs visités c’est surement du Zoulou…
Alors, revenons à nos moutons, en l’occurrence des guépards. Ah oui ! La grosseur du tas de voitures arrêtées. Une seule, généralement tu ne vas qu’à peine ralentir. Des impalas ou un moineau. Deux ou trois, peut-être des éléphants (encore que…) ou des girafes. Mais si l’amas est plus gros, c’est du lourd.
Ce jour là, nous sommes sur la route goudronnée en vue de Skukusa, notre camp étape du soir. Sous un petit crachin, à quelques centaines de mètres, sur le loop S30, un petit paquet de voitures. Quitter le bitume et rejoindre l’amas déjà inextricable. On ne voit rien, le papy, bloqué dans la voiture d’à coté me souffle : three cheetahs. Trois jeunes guépards sur un monticule. A peine devinés au travers des buissons. Bon, c’est le moment de voir ce qu’elle a réellement dans le ventre cette Quechqua et de jouer les apprentis Bongeni. Anticiper, c’est son secret. Allez ma vieille, en fait elle était presque neuve à Tambo, montre moi tes pouvoirs en terrain sec. Passer par l’extérieur de l’étroite piste surencombrée. Deux roues à peine à la lisière encore damée, et tout le reste va se frotter aux épineux. Le crissement sur la carrosserie fait peine à entendre. Ça craint mais ça passe. S’arrêter 50m plus loin en espérant que la fringale va décider les trois frangins à partir récupérer un casse-croute. L’emplacement est vierge de toute voiture et ne laisse aucune chance à un éventuel arrivant de voler notre tribune présidentielle. Demi-heure s’écoule. Au mouvement des téléobjectifs qui débordent des 4x4 de l’amas, comme canons de 120 dépassent d’un char Leclerc, on devine qu’il y a mouvement du trio de stars. Entretemps, j’ai fait demi-tour, me voilà du bon coté pour les photos. L’arme est posée confortablement sur le petit Bean Bag *.
Le premier félin arrive en vue, de sa démarche souple et ondulée, il passe à 10 mètres, suivant le tracé de la piste en parallèle. Quelques photos, redémarrer le moteur, lent traveling arrière pour le remettre dans la fenêtre de tir. Shooter, manifester un petit sifflement, histoire de se faire remarquer et de voir toutes ses moustaches. Le manège par trois fois, ça suffit. Arrivent les deux athlètes suivants. Ils cherchent le terrain découvert propice à leurs exploits de chasse. Le guépard, c’est un sprinter. Le Carl Lewis des savanes. 110 km/heure sur 300 mètres. Le demi-fond, plus son truc. Même pas s’essayer sur 400m. Si la proie passe avant lui la ligne des 300, elle est sauvée. Lui, penaud, devra reprendre souffle et se remettre plus tard dans les starting-blocks, sur son monticule d’observation. Quel bel animal racé. Nous les laissons partir vers leur terrain de sport, tandis que là-bas, l’amas de voiture est toujours enchevêtré.
A suivre
* - Le bean bag, petit sac rempli de haricots (ou équivalent) que l’on pose sur le rebord de la portière de la voiture pour stabiliser l’appareil photo. Un plus si vous utilisez un téléobjectif.
Notes sur les photos (de haut en bas) :
n° 1 et 2: Game drive du 6/11 au Motswari
n° 3: Parc Mapungbugwe, le 26/10
n°4: Troupeau de buffle, Motswari Lodge, le 5/11
n° 5: Buffle et piqueboeuf à bec rouge
n° 6 et 7: Guépards, environ de Skukusa (Parc Kruger), le 8/11
n° 8: Guépard, Parc Hluhluwe-Umfolozi, le 13/11