Escapade de 3 semaines en Afrique du Sud, le Kruger et alentour. (art 2)
Pour le Big Five, autant vous le dire de suite, ce ne fût pas d’une grande difficulté. Enfin, tout au moins pour quatre d’entre eux. Le seul à s’être fait désirer, jusqu’à notre safari de trois jours au Motswari, le léopard ! Il chasse de nuit, monte sa victime, qui peut peser deux fois son poids, pour la bouffer, peinard, dans un arbre. Il stationne là, roupillant, à digérer toute la journée. Et des arbres, en Afrique du Sud, ça ne manque pas, et sont pas tous aux abords des pistes… Il est interdit, tout-terrain ou pas, de les quitter. Les chances sont faibles.
Par contre, dans les réserves privées, les 4x4 aménagés safari peuvent aller partout. Pour peu que le guide au volant et le pisteur, perché à l’avant gauche sur un siège limite éjectable, soient bons, alors le bush, dans son immensité, t’appartient ! Josh et Bongeni nous ont réservé six safaris d’anthologie. Ce matin là, le Land Rover vert bouteille, rutilant, roule sur la piste depuis une petite heure. Soudain, petit signe du pisteur à son chauffeur. Stop, courte marche arrière, ils descendent du véhicule et examinent le sol. Nez et regard au sol, Bongeni s’enfonce à pied, sans arme, dans la forêt d’arbustes méchamment épineux. Josh nous fait mettre pied à terre et nous montre une légère trainée à peine marquée sur la latérite damée. Elle traverse la piste, piquetée de ci de là par de minuscules taches brunes. Des gouttes de sang. Retour à nos places. Vingt minutes plus tard, le Sherlock Holmes en treillis revient, sourire. Et là, nous avons vu en un clin d’œil le 4x4 aménagé en poste d’observation confortable, se transformer en mini bulldozer démentiel.
Piquant droit dans les arbustes, lesquels rendaient un à un l’âme dans un bruit d’arbre amazonien abattu par les tronçonneuses de foutus déforesteurs, Josh, à grands coups de volant et d’accélérateur fonce. Il ne voit que la mimine droite du pisteur qui virevolte, petite mécanique parfaitement huilée. L’autre coté, ça n’est pas une mimine, mais un étau qui tente désespérément de ne pas nous laisser partir seuls, s’agrippant au siège. Chaque signe est un morse savant. Passe à gauche, monte, à droite, une virgule : évite un tronc qui résisterait à la charge sauvage de l’éléphant à moteur diesel, descend, tout droit… et stop !!! L’arbre est là, devant nous, "le chat", comme ils l’appellent entre pisteurs est là aussi.
Las… le chat ne dort déjà plus que d’un œil et saute, félin dans toute sa suavité, pour se faufiler et disparaitre dans le buisson aux limites infinies. Visiblement il veut détourner l’attention des intrus, protéger son beefsteak resté dans les parages. On nous le montrera plus tard. La pauvre antilope n’aura plus mal au ventre, elle n’en a plus. Dans la jungle, Dura lex, sed lex. J’ai censuré la photo prise de la victime. Mais avant ça, va commencer une traque inouïe de l’africain Bongeni (beau nom prémonitoire, non ?). Difficile à raconter pour que vous imaginiez un tant soit peu cette chasse inoubliable.
Durant quinze bonnes minutes l’engin, diabolisé par un pilote hors pair sorti vainqueur d’un Paris-Dakar, va suivre les indications des doigts du mime Marceau qui fait du trampoline à l’avant. Un labyrinthe d’enfer et de bois brisés. Plusieurs fois nous irons, franchissant des berges abruptes, traverser d’un bord à l’autre le fleuve encore asséché. Et soudain, un signe minimaliste: stop. Plus rien ne bouge. Dix minutes plus tard, le chat arrive. Façon "Nounours, de Bonsoir les petits", pom, po po po pom pom… Tranquillou comme Baptiste, il longe notre abri roulant encore fumant. Emotion au paroxysme, il est à dix mètres de nous durant son paisible trajet. Nous sommes inexistants pour lui, Bongeni à tenu compte de la direction du vent. Il disparait sans un bruit. C’est le signal ! Josh redémarre ses folles embardées.
Le scénar se répétera trois fois. A des centaines de mètres d’une apparition du félin à l’autre. Un énorme coup de chapeau au tout jeune pisteur, pas croyable, le léopard nous a toujours rejoints, passant chaque fois à moins de vingt mètres… Josh, qui roule à longueur de Game Drive la radio VHF branchée, l’écouteur rivé dans l’oreille, je pense qu’il doit même l’y coller vu les embardées, passe l’info. Un autre 4x4 du lodge viendra prendre le relais. Jean et moi nous retournons vers nos compagnons de fortune, un couple anglo-américaine fort sympathique, sans un mot le message passe par les mimiques : im-pre-ssio-nant ! Un grand moment pour notre premier cinquième Big Five. Les suivants seront un brin plus pâles…
Oui, je vous disais, le Big Five c’est mythique mais pas aussi difficile que d’arriver à observer d’autres mammifères africains, aussi intéressants mais rares. Imaginez, ne parlant que du Parc Kruger. Il fait 320 km du Nord au Sud et 60 km de large, pour une surface de plus de 20 000 km2. Toi, tu veux observer le Lycaon, sur le parc il n’y en a que 120… le Topi, ils sont 220… le Guépard, 120 et le Nyala, 300 !
Avant d’essayer de les rencontrer, il vaut mieux éviter de faire le petit calcul suivant, qui découragerait un bataillon de conquistadors espagnols cherchant l’Eldorado. Sachant que, dans notre cas, nous estimons qu’il faut se trouver au maximum à 30 mètres de l’animal pour correctement l’observer (non, non, nous ne sommes pas bigleux… au contraire !), cela fait pour nos yeux une bande de recherche de 60m de large de part et d'autre des pistes. Et encore, si la végétation le permet. Sachant d’autre part, que nous avons parcouru vaillamment environ 2 000 km de pistes dans le Kruger, nous n’avons en fait examiné qu’à peine, et à la louche, quelques 150 km2, soit un timbre poste du Kruger.
Et alors, maintenant? Un timbre poste du Kruger, ça fait combien de pattes de lycaons visibles? La réponse objective et mathématique est : une aiguille dans une botte de foin. Et pour le nombre de lycaons faudra encore diviser cette somme par quatre… Idem pour topis, guépards ou nyalas. Bon, vous n’allez surement pas me croire, et malgré ce que l’on va penser de nous en pareil cas, je vous le dit, nous avons observé lycaons (deux fois à des centaines de kms l’une de l’autre), topis (femelles venant de mettre bas, svp…), guépards et nyalas. Et, promis juré nous n’avons pas mis nos pattes au Zoo de Jobourg, je ne sais d’ailleurs pas s’il en existe un. J’ajoute que mes photos, pas toujours parfaites vu les bougés dus à l’émotion, fruit de la proximité parfois limite avec ces animaux, ne sont pas truquées.
Je sens comme une chape de plomb qui s’est abattue sur vous et moi lors de cette série de calculs savants, détendons-nous et retrouvons notre ami british.
(des USA) : - Dans quelle direction se trouve le nord en Afrique du Sud ?
- Faites face au sud et tournez de 90°. Dites-nous quand vous en serez là, et nous vous enverrons le reste des directions.
(de Suède) : - Je veux marcher de Durban jusqu'au Cap, puis-je suivre la voie de chemin de fer ?
- Bien sûr, il n’y a que deux mille kilomètres. Prenez beaucoup d’eau.
Vous voyez, en Afrique du Sud, on peut rencontrer de drôles d’animaux…
Notes sur les photos (de haut en bas) :
n° 1, 2 et 3 : Léopart au Motswari le 5/11/2014
n° 4 : Lycaons, près d’Olifants (Parc Kruger) le 1/11/2014
n° 5 : Topis femelles et leurs petits, Shingwedzi (Parc Kruger) le 29/10/2014
n° 6 : Guépart, jeune mâle aux environs de Skukusa (Parc Kruger) le 8/11/2014
n° 7 : Nyala, mâle aux environs de Skukusa (Parc Kruger) le 7/11/2014