Hélène Breebaart, un zeste de "French Touch" dans la mode à Panama

Publié le par Michel Lecumberry

  A l’époque, notre voilier flemmardait aux îles San Blas, entrecoupant ses balades idylliques par de courts séjours vers Portobelo. Il fallait bien avitailler. Nous en profitions pour proposer, timidement, nos premières réalisations en ivoire végétal sur un étal improvisé. Un week-end, un jeune couple nous demande si nous pourrions fournir quelques pièces pour leur boutique de la capitale et nous conseille : - "vous devriez rencontrer Hélène Breebart, devenue en vingt ans un des phares de la Haute Couture du pays. Alliant son "French Touch" au savoir-faire des femmes Kunas, elle aime par-dessus tout ce qui émane de la nature."

Photo d'Hélène Breebaart, organisatrice du concours annuel du plus beau vêtement traditionnel Kun
Hélène, lors d’un concours annuel du plus beau vêtement traditionnel Kuna

  Alors un beau jour, à pas de velours hésitants, Coco et moi poussons la porte de la ruche à deux niveaux, ornée d’un bel ananas, le logo de la Maison. Entre l’appartement privé du rez-de-chaussée et l’atelier du premier, l’escalier semble inexistant pour la reine des abeilles. Il sera avalé plusieurs fois durant notre rencontre, quatre à quatre, avec, comme dans un numéro de cirque, deux adorables mini-schnauzers faisant du gymkhana entre les jambes de leur maitresse. Le ballet est réglé au cordeau, pas d’accident !

Portrait d’Hélène Breebaart dans son atelier à Panama
Hélène, dans le patio fleuri de son atelier à Panama

  - Pourquoi l’ananas ? Il y a une trentaine d’années, lors de mon arrivée sur le Panama*1 j’ai découvert aux San Blas, émerveillée, le travail des femmes kunas. Au moment de choisir le motif de ma première mola réalisée j’ai choisi ce fruit qui signifie pour elles "Bienvenue". Tout naturellement c’est devenu mon logo et mon image de marque.

  Hélène, chaleureuse, mais sûrement impatiente dans la vie, aimerait tout nous faire découvrir en même temps, le titre célèbre de Paul Morand devenant pour nous: "La Femme Pressée". Une oreille attentive reste collée au cellulaire, lequel se rappelle souvent à son bon souvenir, tandis que l’autre, tout aussi attentive, écoute Consuelo, sa fidèle collaboratrice.  Pour meubler l’espace vacant, l’autre main, ivre de liberté, fouille une pile de magazines, nous devons absolument y voir une certaine gravure.

  L’objet de notre visite n’est pas oublié, loin s’en faut. – "Montrez moi, montrez moi…". Arrêt sur image, miracle, on s’assied un instant… - "J’aime bien ce que vous faites, ce que je préfère ce sont vos pièces abstraites. Nous en exposerons ici". Le conseil, précieux, ne sera pas oublié. Quatre doigts, qui pensaient bénéficier d’un répit de dix secondes, doivent pianoter nerveusement un numéro : - "Allo ! Ileana ? Hola ! Comment vas-tu… (en aparté : c’est la Rédactrice en Chef de ELLAS - le ELLE local-)  j’ai ici deux amis français… tu devrais…". L’intervention se soldera par une interview et un "trois pages". Aider les artisans, mettre le pied à l’étrier, un des crédos d’Hélène Breebaart.

Hélène Breebaart avec ses couturières Kuna dans son atelier de Panama
Hélène, dans son atelier avec ses couturières Kuna

  Le regard profond est doux mais vif, comme puce de mer agitée par les hésitations d’une frange d’écume légère, il virevolte un instant dans l’atelier, les petites mains kunas y brodent calmement, contraste. Vite revenir jeter un œil sur l’écran de l’ordinateur de Consuelo qui attend un avis – "réponds que c’est OK !". Entrainant involontairement ses toutous slalomeurs, en coup de vent, descendre s’assurer que la cuisinière pourra ajouter deux couverts et remonter au plus vite pour faire courir son regard sur la table de coupe et imaginer le mouvement futur d’une robe de soie peinte. La créatrice, passée par l’Académie Julian et diplômée en Histoire de l’Art de l’Ecole du Louvre, est aussi une formidable aquarelliste.

Portrait d’Hélène Breebaart dans son atelier à Panama
Avec un de ses fidèles toutous dans son atelier

  Lors d’une autre visite, nous remarquons un portant où se prépare, ouvrage après ouvrage le défilé de la prochaine "pasarela" qui représentera le Panama lors d’une manifestation à l’O.N.U*2. Il faut insister pour admirer quelques uns de ces magnifiques vêtements. Les personnalités du monde entier, couronnées ou pas, qui ont laissé leurs témoignages de gratitude dans de gros Livres d’Or, n’ont en rien abimé la simplicité et la modestie d’Hélène Breebaart.

Photo d’Hélène Breebaart avec Vivian Fernandez de Torrijos, première dame du Panama de 2004 à 2009
Avec Vivian Fernandez de Torrijos, première dame du Panama de 2004 à 2009

  Autre crédo, toujours aider à la conservation des traditions ancestrales: - "Pour ce défilé à New York, en compagnie de Vivian Fernández de Torrijos, Première dame du Panama, j’ai beaucoup insisté pour être accompagnée de Tilcia Villalaz, une de mes "kunita"*3 dans son beau costume traditionnel" ajoutant fièrement: "C’est elle qui fût la vedette de notre délégation". Cette exigence, c’était sans doute pour dire : sans elles, je ne serais pas ici. La principale fierté d’Hélène c’est de donner un travail régulier à ses petites mains kunas mais aussi de les laisser exprimer leur créativité et leur talent.

Photos lors d’un défilé de la collection annuelle d’Hélène Breebaart à Panama
Modèles défilant sur la "pasarela", lors de la Fashion-week de Panama

    Justement, l’une d’elles, dans son flamboyant vêtement, interrompt pour quelques minutes le mouvement brownien de la créatrice pour lui présenter son ouvrage. Vérification de routine, une farandole de gros hibiscus rouge vif dessine un chemin de table aléatoire sur une nappe immaculée, invitation de futurs convives au partage de ce festival de couleurs. Félicitations de la reine des abeilles à son habile ouvrière. Elles sont une dizaine de Kunas dans la ruche, Hélène dit que sans ses extraordinaires couturières, elle ne serait rien. Elle dit aussi : "Mon inspiration n’est pas ce que font Oscar de la Renta ou Carolina Herrera, mon inspiration c’est regarder comment s’habille la nature".

Fin d’un défilé de la collection annuelle d’Hélène Breebaart à Panama
Fin d’un défilé de la collection annuelle

  Quand le regard évoqué croise un autre regard, l’œil se fait encore plus attentif, se teinte de profondeur, le cœur "gros comme ça" s’y montre, se met à l’écoute. Tu réalises alors qu’Helène Breebart fait partie de ces très rares personnes de nos sociétés dites "avancées" pour qui la question que tu poses est plus importante que la réponse qu’elles vont te faire. Cette attitude d’écoute, c’est une constante des amérindiens. Sûrement que se trouve là une des clés pour expliquer pourquoi Hélène les apprécie, les aide et les aime tant. Dans une autre parution, nous évoquerons sa fondation "Buscando tu estrella" destinée à promouvoir de talentueux artisans panaméens.

Photos d’Hélène Breebaart dans son atelierà Panama
Hélène dans son atelier avec ses couturières Kuna

 

  Voir ici la vidéo faite lors du dernier défilé présenté par Hélène Breebart lors de la Fashion Week de Panama.

Notes :

*1- Hélène Breebart, née Gouguenheim Pigeon, est originaire de Bordeaux. La présence dans sa famille d’une excellente couturière va lui permettre d’apprendre dès son jeune âge la couture fine et lui donner aussi le goût de créer ses propres vêtements. Elle débute sa carrière à Paris comme acheteuse d’un célèbre Grand Magasin, ce qui lui permettra de rencontrer quelques créateurs de mode en vue. Au début des années 70, la maison Dior lui confie le lancement de sa ligne de parfums et produits de beauté aux Amériques. Après avoir voyagé du Canada à l'Argentine, Hélène s’installe à Colon (Panama) où elle a rencontré son futur époux hollandais. Cesse de travailler pour élever ses enfants. Avant de revenir bientôt à ses passions, la peinture et la couture, elle marie les deux pour créer dans la capitale sa Maison de Haute Couture.

*2- En 2006, l’évènement "Fashion for Development" est organisé par l’ONG "Women Together", dans l’optique de récompenser des femmes qui attirent l’attention sur des problèmes comme la pauvreté ou encore comme le peu d’opportunités offertes aux femmes dans le monde.

*3- Kunita, diminutif affectueux : ma petite Kuna

La photo d'Hélene en compagnie de Vivian Fernandez de Torrijos est parue dans un article de Ileana Pérez Burgos, rédactrice en chef de la revue ELLAS, les autres sont du rédacteur du blog.

Publié dans Portraits

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