Oiseaux du Panama, une journée chez le Colibri scintillant, le petit énervé du Volcan Barú (suite)
Reste peu de temps, la luminosité va bientôt décliner.
Le petit manège répétitif de cette femelle a attiré mon attention. Sa collecte de nectars dure quelques minutes, puis s'achève brusquement par un long vol rapide. Telle une flèche, la voilà qui disparait au travers du feuillage d'un rideau de grands arbres. Des petites bouches à nourrir ?
Abandonner mon site d’observation parfait pour découvrir la solution de l’énigme ? L’être humain est parfois joueur, alors, comme chercher sa destination me semble intéressant...
Suivre un sentier, passer sous les arbres pour découvrir l'envers du décor. Là, des centaines de caféiers se blottissent au creux d'un ressaut de la colline. Tous semblables, chargés de grappes de cerises mûres, attendant d'être délestés par des saisonniers amérindiens G'nöbé, experts en la matière.
Belle meule de foin pour s’amuser à retrouver une aiguille perdue... Chances quasi nulles parmi cet océan de clones.
Tu restes un peu à couvert, tentes de recueillir quelques indices, en l'absence desquels ta quête sera vaine. Un bon quart d'heure immobile pour essayer d'apercevoir la petite laborieuse. La voilà ! En contrebas, elle émerge brusquement d'un groupe de caféiers et se perche sur la branche haute d'un arbuste décharné. Après quelques courtes minutes, elle s'en retourne vivement vers son massif de fleurs nourricier. Pour le jeu de pistes, c'est la seule indication qu'elle voudra bien m'offrir cette fois. Attendre son retour pour affiner la recherche.
Elle revient. D'abord se perche là-haut, puis, après un temps de veille sécuritaire, plonge vers un arbrisseau et fait un brin de stationnaire. Le battement de ses ailes, comme sur un petit Larousse illustré, sème à tout vent des aigrettes qui ressemblent à celles des pissenlits. Sans le savoir, elle joue avec mes nerfs. Disparait vers des caféiers déjà inspectés soigneusement avec les jumelles. Peut-être joue-t-elle avec mes nerfs en le sachant… Des secondes d'éternité. Enfin, repart chercher ses nectars aimés. Reprendre l’inspection en braquant les binoculaires sur l’aire plus limitée d’où elle a émergé.
Bingo! Le minuscule nid est là! Au milieu d’un des caféiers. La taille des cerises de café qui l’entourent donne l’échelle de ses dimensions.
Tel un sioux, je me rapproche un peu de la zone et me poste, assis et adossé à un petit talus, respectant la distance limite pour observer sans être vu.
Un petit cotonneux roupille. Bien peinard, après son rototo, il fait sa sieste, repus. Le fils unique prend toutes ses aises, envahit le petit appartement. Il doit avoir une dizaine de jours. Des embryons de plumes percent le duvet.
À la naissance, dans les familles, ils sont généralement deux. Si c'était le cas, le fratricide aurait-il poussé le frangin par-dessus bord, se ménageant un lit "king-size" pour lui tout seul ? Je ne le crois pas capable d'un tel crime, il a l’air si innocent…
Prendre quelques photos-souvenirs au téléobjectif. A peine daigne-t-il, de temps en temps, battre de la paupière pour dire qu'il est vivant. Le temps imparti avant le retour de la maman métronome s'écoule. Ses heures de biberons, je vous le dis, sont on ne peut plus respectées.
Ah! Si, comme un pro, j'avais pris mon trépied et un filet de camouflage… Tenir le barda à bout de bras, durant quinze ou vingt minutes, collé à l'œil sans se mettre à trembloter, pas évident. Mais faut faire avec.
La routine d'approche de l’épouse du petit agité, resté là-haut à se goinfrer de dessert, recommence. La branche haute, le vol stationnaire pas loin du nid, la disparition dans les arbustes, des secondes qui paraissent des heures.
Soudain, le minuscule endormi remue dans le viseur. La tête de redresse, le bec s'érige. Dans ma poitrine, les tambours du Bronx se réveillent aussi. Adrénaline. Espérer la cerise sur le gâteau de cette déjà belle journée d’observations. Quand, venue de nulle part, elle se pose sur le rebord du nid… c'est quelque chose... Par l'œil cyclopéen du 300 mm, elle semble si proche. Mal éclairée, cette scène restera quand même un moment fort.
Le petit goulu ouvre de plus en plus sa gorge. Le bec nourricier plonge. Livraison directe dans l'estomac. Un avaleur de sabre ne ferait pas mieux. Il doit vite terminer sa croissance et apprendre à voler le plus rapidement possible pour s'éloigner des dangers.
J’aurais bien aimé rester demain, revoir cette scène avec meilleure lumière, mais il me faut m’en retourner vers des obligations.
J'imagine le petit bolide d'exception, mi hélico, mi avion de chasse, aux couleurs scintillantes, zébrer l’azur dans quelques jours en parcourant les flancs du volcan Barú.
Un sympathique "petit énervé" de plus. Longue vie à toi mon p'tit gars… et, peut-être, à l’an prochain…
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