Chapeaux ! Un panama peut en cacher un autre… (2) : le Sombrero Pintado
Le « Sombrero Pintao », véritable chapeau du Panama, vient d’être placé dans la liste du patrimoine immatériel de l’humanité de l'UNESCO. A cette belle occasion, je réédite les deux articles de la série « Chapeau ! Un panama peut en cacher un autre » concernant ce représentant de l’artisanat traditionnel du Panama:
Si vous vous baladez Piazza San Marco, à Greenwich Village ou encore sur les planches à Deauville, vous aurez plus de chances de croiser le beau chapeau blanc qu’au Panama. Bon, dans la capitale vous en verrez peut-être un ou deux, par ci par là, flambant neufs, si vos pas vous mènent dans les quartiers où flânent les touristes. Mais si ceux-ci pensent faire couleur locale, ils font erreur, le vrai chapeau finement tressé du peuple panaméen c’est le "sombrero pintado"*.
Dans les villes et villages de province, sur les routes campagnardes et aux abords des marchés de la capitale, il est omniprésent. Et ne parlons même pas des foires, marchés artisanaux ou fêtes patronales et nationales dont il est le très fier dénominateur commun. Il est sans contestation possible LE chapeau panaméen. En fait, le véritable "panama" puisque natif du pays. L’INAC * vient même récemment de déposer un projet de loi pour que le Pintado soit classé "patrimoine national". Mais les ingénieurs du Canal Français et le président Roosevelt ont choisi l’équatorien pour semer les graines de sa notoriété…
Il y a plusieurs modèles suivant les provinces, mais le berceau du sombrero pintado typique, c’est la région de Pénonomé. En particulier le village de La Pintada* et ses environs. C’est ici que des centaines d’artisans tissent les fibres de quatre palmiers différents pour élaborer ces chapeaux.
Au cœur de ce petit village se trouve la boutique de Reinaldo Quiras, "maître es-pintado". La réputation de cet artisan de talent est telle qu’elle déborde maintenant des frontières grâce à cette vidéo disponible sur Internet, il explique ici, images à l’appui, le long cheminement de l’élaboration d’un de ces couvre-chefs*. Reinaldo se consacre au tissage de ces chapeaux depuis 35 ans et tient son savoir de son père et de son grand-père. Grand connaisseur de l’histoire de cet élément essentiel du folklore panaméen, il nous dit : "le pinta’o, c’est comme un livre blanc, dans lequel chaque génération écrit un chapitre. On a inscrit de nouvelles techniques et matières mais l’on a toujours conservé le modèle originel".
La fabrication demande une grande attention et un parfait savoir faire. Le choix des fibres de palmiers et la qualité de leur traitement sont très importants. On utilise principalement un palmier appelé ici "bellota" (ou "toquilla"), il s’agit de Carludovica palmata*. Trois autres palmes vont être également employées : la "chonta"*, le "junco"* et la "pita"*.
La palme bellota est coupée jeune alors qu’elle ne s’est pas encore déroulée. A l’aide d’un petit instrument*, les fibres tendres sont habilement séparées en suivant les nervures et la partie dure est éliminée. Elles seront cuites dans de l’eau bouillante durant une heure puis plongées dans l’eau froide d’un ruisseau durant une nuit. Elles seront ensuite mises à sécher durant 3 jours et 3 nuits, ainsi, peu à peu les fibres s’arrondiront pour devenir prêtes pour le tressage.
L’élaboration du chapeau commence par la sélection des fibres en fonction de leur finesse et de leur régularité. L’artisan réalise alors des tresses plates (crinejas) à base de 15 fibres dont certaines, teintées, permettront de dessiner les talcos, ces petits motifs généralement noirs ou marron. Durant le tressage, pour rester souples et régulières, les fibres sont constamment humidifiées avec de l’eau et ce travail est effectué durant les heures fraîches de la journée. Ces tresses seront ensuite enroulées et cousues en spirale sur la forme en bois. Evidemment, plus les fibres sélectionnées sont fines, plus les tresses sont étroites et plus le travail est minutieux. La qualité d’un chapeau se mesure donc en fonction du nombre de tours (vueltas) de tresses verticales qui en font sa hauteur. Les plus simples comptent 7 tours et se réalisent en cinq à six jours, les plus fins peuvent compter jusqu’à 22 tours et nécessiter plus d’un mois de travail. Les prix actuels varient en conséquence entre 15 et 4 à 500 dollars.
Notes
* (s’écrit parfois pintao ou pinta’o mais à prononcer toujours : sombrero pintâo) Que l’on peut traduire par : chapeau tacheté
* taillé dans un os d’animal, on l’appelle ici "compás"
* la chonta est un palmier qui ressemble au cocotier, mais avec tronc et des palmes couverts d’épines. La palme fournira une fibre de couleur et texture différentes que celle de la bellota. Elle est aussi plus brillante et sera souvent colorée à l’aide de teintures naturelles obtenues de fleurs ou de feuilles. Une des feuilles les plus utilisées s’appelle la "chisna", fraîche elle fournira le vert, séchée le marron et le noir.
Pour l’obtention le noir le processus est le suivant : les feuilles mortes sont pillées dans un mortier. Ainsi préparées elles sont mises à bouillir avec les fibres qui prennent la couleur chocolat. Elles seront alors placées durant 3 jours et 3 nuits dans une boue préparée spécialement. L’oxydation qui se produit donne la couleur noire.
* le "junco" est de la famille du papyrus. La tige coupée sera mise à sécher durant 8 jours et seule la peau sera utilisée.
* la "pita", sa fibre séparée et traitée donnera le fil qui sert à coudre les tresses (crinejas) entre elles.
* INAC, Instituto Nacional de la Cultura
* le nom de ce village, bien que s’approchant de celui du chapeau, n’a en fait rien à voir.