Tourisme au Panama, une famille de voyageurs découvre le Darien (1) Préambule
Les choses sérieuses, traitées de façons légères, se dénudent parfois, laissant apparaitre leurs cotés dérisoires ou grotesques. C’est bien dans l’esprit français que d’user de ce petit paradoxe. Nos grands maîtres en la matière, de Molière à Coluche, nous en ont fourni de géniales preuves.
Alors, voila l’affaire qui nous occupe aujourd’hui.
Depuis deux ou trois ans, un bon copain navigateur, qui dessine avec talent de beaux zigzags de sillage autour des îles paradisiaques des San Blas, vient de temps en temps poser son ancre dans la baie de Portobelo. Ne manquant jamais l’occasion de partager quelques verres sur notre "terrasse des voyageurs", je l’ai vu maintes fois faire les gros yeux lorsque nous évoquons mes balades dans le Darien.
- Michel, tu ne devrais pas aller dans cette région, c’est trop dangereux !
Feignant de penser qu’il fait ainsi référence à la forêt vierge et à ses animaux dits "sauvages", je signe rapidement l’entretien d’un rire un peu narquois.
Il y a quelques jours, sa cambuse vide, le voilà qui balade son filet à provisions chez les chinois du coin*1 et vient, tout au moins je le pense, bavarder tout en maquillant sa moustache d’une mousse légère et rafraichissante. Mais aujourd’hui, point de badinage. L’homme semble sérieux au plus haut point. Mon front, généralement aussi détendu que celui d’un bouddhiste qui fait Zazen le cul posé sur son Zafou, se met à se plisser pour de bon. Quelle mauvaise nouvelle viendra interrompre cet instant de détente méritée ? Le bourlingueur, accompagnant son geste du regard protecteur de l’ami prévenant, abat sur la table une feuille A4 imprimée, avec un claquement digne d’une carte de belote marseillaise.
- Regarde ! Tu ne peux plus aller dans le Darien !
Voyant d’entrée le gros aplat rouge sang dessiné à l’est d’une carte du Panama, reproduite ci-dessus, j’ose encore badiner et, du tac au tac :
- C’est sûr qu’avec cette carte du Darien, qui manque pour le moins de détails, je ne saurai plus me diriger. Mais t’inquiète, j’ai des cartes et même de celles qui portent le nom "d’état major", estampillées US Army.
Il se fâche alors tout rouge, tournant carrément au cramoisi quand je lui annonce que je pars la semaine prochaine dans le Darien avec un couple de français accompagnés de leurs gamins de 8 et 10 ans.
- Lis! Mais lis donc, c’est un document officiel! Le Quai d’Orsay, quand même! (Il s’en étrangle presque, ce qui, vous en conviendrez, n’est pas bon du tout juste derrière une gorgée de bière)
Je suis bon ami, j’obtempère et déchiffre en diagonale le dit document. Horreur ! Je réalise subitement que c’est en enfer que je vais devoir entrainer mes compagnons de balade. Et, intérieurement, je traite Michel Puech de tous les noms, lui qui m’a confié cette mission.
Je lis… Farc… Narcos… Malaria… Fièvre jaune… Je lis encore : fortement déconseillé … J’entrevois la cata qui va suivre. Imaginez un peu…
Le premier jour de balade, sous la conduite d’un guide naturaliste local nous venons de quitter le sentier pour nous poster sous un arbre. Au dessus de nos têtes s’ébattent joyeusement un groupe de singes hurleurs, c’est l’heure de leur petit déj’. Prenons quelques clichés… Soudain, d’un épais taillis enguirlandé d’une écarlate passiflore, surgissent six Rambos en grande tenue de camouflage, visage barbouillé au bouchon brulé (Connaissent donc pas la jagua*2 ces couillons, pensais-je en mon for intérieur). Et un fort nous serait bien utile en ces circonstances… vu la quantité de kalachnikovs qui bardent les puissantes poitrines. Pensant à notre inévitable future riposte, je sonde discrètement ma poche, ouf ça va, l’opinel est bien là…
- La bourse ou la vie !!! (en français dans le texte) Re-ouf, c’est sûrement un parent de la sainte Ingrid, il sera sans doute reconnaissant du traitement médiatique débordant d’attentions complaisantes que notre presse nationale a réservé à sa célèbre cousine colombienne.
Mais le ton est plutôt bourru, un brin menaçant même… N’importe quel british, en ces lieux où seuls les gazouillis d’oiseaux ont droit de cité, aurait trouvé ce soupçon d’agressivité "absolutely chocking". Mais nous, fort diplomates en l’occasion, retournons vivement nos poches (retenant subrepticement l’opinel, rassurez-vous). En tombent quelques menus quarter*3 (autant mêler les USA à cette sombre affaire). Le bourru, ému aux larmes, pensant sûrement aux dures réalités de la crise économique sauvage et sans cœur qui frappe notre si doux pays d’origine, nous file un billet de cinq dollars en nous souhaitant de retrouver sans peine notre chemin. Retour au bar du lodge pour dépenser royalement le billet vert siglé "Nous avons confiance en Dieu"*4 et nous remettre de nos émotions.
Le lendemain, patatras ! Remontant le fleuve Chucunaque*5, la pirogue au gros moteur reprend vitesse après avoir ralenti dans un méandre, un saurien complaisant, vautré sur une pincée de sable, tentât nos affutés objectifs longue focale. Un hurlement couleur humaine nous cloue sur place. Halte là!!!
Le train de mules, qui accompagne le cri, traverse un gué, guidées par quelques hommes armés jusqu’aux dents (décidément, la kalach’ en bandoulière c’est de dernière mode au Darien…). L’œil noir des fusils d’assaut se font menaçants. Des narcos ? Je monte au front pour palabrer. Ce sont bien des négociants de blanche poudre légère. "Nous somment du canal historique narcos-écolos", me précise de façon fort civile l’homme en charge des relations publiques du moment. Et de m’expliquer, devant l’étonnement provoqué par le type de véhicule utilisé :
- Loin de nous l’idée de polluer ce sanctuaire de la nature avec quelque hors bord de 1500 ch. ou pire avec quelque avion ou hélico que ce soit. Certains de nos confrères n’ont aucun scrupule, ce sont de vrais cochons, ils salissent notre belle planète et aggravent le trou de la couche d’ozone.
- Mais où allez-vous comme ca ?
- Ben, nous avons rendez-vous dans 3 mois, 6 jours et 45 minutes chez Charlie Sheen, à Beverly. Toute sa bande de potes nous attend pour fêter la Saint Blanche Neige.
La rigolade intérieure que je me suis payée… Vous l’imaginez cette caravane, prenant la transaméricaine et traverser la kyrielle de grandes villes à commencer par Panama pour atteindre la Californie ? Encore un petit effort d’imagination, essayez de visualiser, sans vous plier en quatre de rire, les muletiers, écharpes de bandes de balles gros calibre croisées sur les torses, tentant de faire redémarrer la troupe d’équidés, des rétifs par nature… Le flic, chargé de la circulation au carrefour d’un centre ville, leur redonnant le feu vert. D’autant qu’ils viennent d’avoir un mal de chien à les faire stopper avant qu’ils ne culbutent le malheureux sémaphore vivant.
Je vais pouvoir bientôt transmettre l’info à mes amis Kunas, ils n’auront pas a quitter leurs ìles*6, la montée des eaux va cesser grâce aux "narcos-écolos" protecteurs de la couche d’ozone ! Séduits par notre concert de louanges, les muletiers et leurs armes lourdes passent leur chemin…
Pour ce qui est de la malaria, j’en fais mon affaire. J’ai fait enrober de chocolat, par boites entières, des comprimés de Malarone. Mes amis voyageurs vont se protéger, sans le savoir. Vont ouvrir la boite et, façon M&M’s, vont croquer le premier, s’en faire un petit second pour la route (promis juré, je m’arrête là...) et, vous connaissez la suite, le petit emballage jaune finit vite dans la corbeille à papier…
Quand à la fièvre jaune, rien de plus simple. Il suffit de bien regarder où nous mettrons les pieds. Eviter de fouler toute terre fraichement retournée, c’est un piège ! Au fond de la fosse, dont la fragile toiture doit céder sous les pas, des petits chinois dressent vers les fessiers dégringolant des lances aux dards bien affutés, porteurs du virus de la même couleur que leurs visages aux yeux bridés.
Non ! Monsieur Costard-trois-pièces-cravate, soyons sérieux ! Vous n’êtes jamais venu ici, pas vrai ? Que vous conseilliez d’être prudent, de respecter les règles élémentaires de prudence pour visiter le Panama, OK. Mais déployer votre parapluie aussi grand que la coupole qui protège nos quarante Immortels durant leur sieste (appelée aussi "séance de dictionnaire"), c’est abusif.
Monsieur Costard-trois-pièces-cravate, si un jour vous osez troquer vos mocassins à glands contre des rangers, nous vous invitons, Michel Puech et moi-même, à venir faire un tour au Darien. Vous y verrez le dernier sanctuaire d’une nature belle et généreuse, vous y observerez des crocos, des singes et bien d’autres beaux spécimens de la faune locale mais surtout, vous vous rendrez compte qu’il y a ici une amicale population autochtone. Ces gens, qui habitent la plus grande et la plus reculée région du pays, sont aussi ceux qui font partie de ces panaméens qui luttent pour vivre avec un revenu qui avoisine le dollar quotidien. Vous les privez, par votre frilosité qui confine au ridicule, des revenus que leur procure le passage de voyageurs épris de liberté et d’espaces protégés des dégâts du tourisme de masse.
S’il vous plait, Monsieur Costard-trois-pièces-cravate, commencez par modifier votre foutue carte. Réduisez à la partie frontalière, par ailleurs inaccessible au commun des touristes, votre démentielle zone rouge. Et soyez sympa de réécrire ensuite un texte un peu moins castrateur. Ainsi vous rendrez service aux natifs et aux voyageurs frustrés qui doivent, pour respecter vos tristes prohibitions, éviter la visite de cette magnifique région.
Monsieur Costard et la suite… nous vous attendons !
PS: Je me permets de vous soumettre ce projet de carte, il vous faudra même préciser que dans la zone rouge, les voyageurs auront davantage à se méfier des reptiles, scorpions et autres mygales que des Farc ou des Narcos!
Notes :
*1- La quasi-totalité des petits commerces d’alimentation sont maintenant tenus par des Chinois, lesquels trustent aussi : laveries, droguerie/quincaillerie, boutiques d’électronique etc.
*2- Le jus de la jagüa sert aux tatouages temporaires. Voir article
*3- Au Panama, la monnaie utilisée est le dollar US (à parité avec la monnaie locale le balboa). Un quarter= 25 centimes de dollar est appelé parfois ici cuara
*4- "In God we trust" dans le texte apposé sur chaque billet US
*5- Le Chucunaque est le fleuve le plus long du Panama, il se jette dans le Río Tuira près de son embouchure dans le Golfe de San Miguel du Pacifique
*6- Article