Les corridas de toros du Festival de la Mejorana de Guararé

Publié le par Michel Lecumberry

  Loin de moi l'idée de ranimer au sein de ce blog la sempiternelle bataille des pro et des anti-corrida. D'autant que, disons le tout de suite, les "aficionados a los toros"*1 et les défenseurs de la cause animale ressortiront dos à dos de ce spectacle traditionnel des fêtes patronales provinciales du Panama, qui déçus, qui réconfortés. Pour les premiers, aucune faena du siècle, pas de larga cambiada d'anthologie ou de verónica les pieds du maestro cloués au sol, le bestiau a les oreilles (qui lui seront préservée quoi qu'il arrive…) plus longues que les cornes. C'est un beau zébu, certes un peu énervé mais loin d'être un tueur dans l'âme. Et pour les autres, le plus tendre des bisounours ne sera nullement affecté, pas la moindre gouttelette de sang pour lui tirer les sanglots, pas une banderille, pas de picador et pas de mise à mort.

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  Nous sommes à des années lumière de la célébrissime et annuelle Corrida de la Beneficiencia de Madrid*2, on se rapprocherait plutôt, voyez vous, des toro-piscine chères aux Intervilles de Guy Lux et Cie. A cela près que, samedi dernier, la grande piscine se réduisait à quelques flaques. L'enclos, rendu bien boueux par les cataractes déversées généreusement sur le coup de midi par un dantesque orage, comme seuls les pays équatoriaux ont le secret, promettait de fameuses glissades. A seize heures, le spectacle pouvait envoyer son premier "toro" au combat! Je rappelle que nous sommes au Panama, le programme de la semaine de festivités "abondamment" publié avec très grande parcimonie par les médias locaux excessivement timides, quelques photocopies collées sur les portes des magasins, annonçait ce premier lâcher à quatorze heures, nous étions donc bien dans les temps!

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  Les "bichos"*3 arrivent en camion à bestiaux. Pouce! Je vous explique, si je peux faire montre d'un si étrange vocabulaire taurin c'est que dans ma vie d'avant je fus un fervent aficionado. Courant les férias, de Bayonne (par vent du sud, quand le parfum de crottin du patio de caballos arrivait chez nous pour estourbir celui du café, mon grand-père et moi savions qu'il était l'heure de se rendre aux arènes) jusqu'à Séville. Passant par toutes celles qui se trouvaient sur le chemin, que j'avais soin de broder aux points de croix, afin de ne point oublier Nîmes ou encore Salamanque. A l'époque de la colonisation de l'Espagne par le tourisme de masse européen, la tradition s'éloignant par trop des arènes, la passion me quittât. Mais, les pro ou les anti, ne vous emballez pas: je ne suis d'aucune chapelle et ne suis pas ici pour vous départager sinon pour vous conter le réjouissant spectacle de ce samedi de fête. Replions le pouce.

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  Revenons donc à nos "insectes". Descendus du panier à salade, les gardés-à-vue par de débonnaires matons sont étroitement retenus dans un couloir de tubes métalliques, qui heureusement pour eux n'est pas ici catalogué "de la mort". Comme rang d'oignons ils y patienteront. Il faut attendre que les officiels veuillent bien arriver et grimper laborieusement dans la loge présidentielle. Vu la rougeur violacée de leurs pommettes enluminées, ils viennent ici pour digérer le gueuleton qui, de toute évidence, à induit l'heure tardive de l'entrée en lice du premier zébu à grosses coucougnettes. Au cas où les grammes de l'alcool ingéré se dissiperaient trop rapidement, promettant ainsi une descente de l'échelle plus aisée que la montée, d'aucuns, bouteilles à la main, ont fait provision, semblant ainsi aimer la difficulté… Avec l'ami qui m'accompagne, nous ne serons plus là pour attribuer des notes aux ratages de barreaux, doubles saltos vrillés et autres flips arrière qui n'ont sûrement pas manqué sur le coup de vingt heures. Le dernier encorné retourné aux vestiaires, il leur faudra retrouver dare-dare la gargote pour refaire le plein de solide et liquide, histoire de ne pas manquer de calories pour la fiesta nocturne qui s'annonce chaude et pour le grand défilé du lendemain.

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  Un brin resquilleur, Arturo, jeune aficionado portant bien le chapeau, nous rejoint pour être au plus près de la sortie des taureaux. Il s'est subrepticement hissé jusqu'au balcon, loge improvisée de la maison bourgeoise et centenaire qui borde la grande place en ce lieu aujourd'hui stratégique. La respectable famille, pour laquelle il y a à peine une heure nous étions de parfaits inconnus, nous a invité à se joindre à eux pour les deux jours, à la panaméenne: "mi casa es tu casa"*3.

  Tout, toutes et tous sont en place, fin prêts! Les spectateurs à ne pas interrompre leurs perfusions de bière, les officiels à visiblement ne servir à rien, les deux alguazils à sauter en selle, les valseuses des nobles bovins à danser le rock'n'roll et nous à prendre plaisir et quelques photos.

 

A suivre

 

 

Notes:

*1- C'est ainsi que l'on appelle en espagnol les passionnés de corrida. Ils se distinguent en deux groupes: les "toristas" admirateur du taureau  et les "toreristas" plus admirateurs du torero (ou matador, en France parfois appelé indument toréador)

Autres notes sur les termes tauromachiques utilisés:

Faena: la troisième partie de la corrida d'un toro.  Elle se réalise avec la muleta, la petite cape rouge, utilisée d'une seule main tandis que le capote, la grande cape, est utilisé lors des deux premiers tiers.

Larga cambiada: la première passe que peut réaliser un torero de grand courage. Il attend le taureau à genou face à la sortie du toril. Tentant de dévier au dernier moment la course du fauve, tenant d'une main la grande cape et la faisant rapidement changer de côté en la passant au dessus de sa tête. Exécutée sans avoir testé préalablement les réactions du taureau, ses tendances au cours des charges et surtout son acuité visuelle de chaque œil, c'est une passe très dangereuse.

Verónica: passe réalisée avec la grande cape tenue face à soi à deux mains, déviant le taureau d'un côté ou de l'autre en reculant une jambe pour diriger la charge avec la cape. Tire son nom de tableaux anciens où l'on voit Véronique montrer le voile sur lequel le Christ à laissé l'image de son visage.

Patio de caballos: enclos jouxtant l'arène où attendent les chevaux participant à la corrida. (Ceux des alguazils et des picadors)

*2- Corrida de la Beneficiencia de Madrid. La corrida la plus importante de l'année en Espagne, clôture en présence de la famille royale la fameuse Feria de la San Isidro de juin. Les meilleurs toreros du moment et les taureaux des élevages les plus célèbres participent à cet événement dont les bénéfices sont reversés pour aider les finances de l'Hospital General.

*3- Bicho (pron. bitcho) Mot à mot: bestiole, insecte. Qualificatif souvent utilisé ironiquement.

*4- "Ma maison est ta maison"

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