Faire de la photo au Panama (1) Aux îles San Blas, chez les indiens Kunas
Contrairement à ce qui était annoncé dans l'introduction à cette série d'articles, ce n'est pas un tirage au sort qui a décidé du sujet de ce numéro 1. Ce choix doit davantage son origine à la publication récente des articles concernant un circuit de découverte des Indiens du Panama.
S'il était besoin de justifier un peu plus cette arrivée en tête, nul doute que ce sujet est considéré par ceux qui ont eu le plaisir d'aller visiter cet archipel comme étant le lieu le plus photogénique du pays. Les îles vierges et leurs dentelles de corail, les rivages animés des villages, les pirogues à voiles gonflées d'alizé, les costumes aux molas colorées des femmes, le parchemin des visages des mamies ou encore les billes de jais des regards rieurs des gamins, tout est digne d'être gardé en souvenir. Le plus photogénique, assurément, mais hélas aussi le moins facile…
Je vous renvoie aux articles traitant des traditions et coutumes des Kunas, pour que vous soyez bien informés: cette ethnie d'amérindiens est la seule de toutes les Amériques qui ait obtenu en 1925 (au moyen d'une révolution quand même…) un statut d'autonomie complète sol et sous-sol. En résumé: ils sont chez eux! Nul ne peut, pas même un Panaméen, ignorer leurs lois internes, leurs règlements ni surtout ne pas les respecter. Ça peut coûter cher et de nombreuses sombres anecdotes en témoignent.
Pourquoi donc ce petit paragraphe? Que fait-il ici? Ben… parce que les règlements kunas précisent: pas de photos, pas de films sans autorisation (et qui dit autorisation veut dire cracher au bassinet…). Mon premier conseil: si vous êtes "pro", mieux vaut solliciter cette autorisation avant de venir réaliser votre reportage*1. Si vous êtes un voyageur aimant faire des photos, cela devient un peu plus souple depuis l'arrivée du tourisme dans l'archipel. Mais il y a des règles à appliquer.
Comme ce genre de règlements est du ressort de chacun des 49 villages de Kuna Yala*2, la première chose à faire en arrivant dans l'un d'eux, c'est de s'informer sur le sujet. Dans la partie ouest de l'archipel, maintenant irriguée abondamment en touristes par la récente route pour 4x4, les choses se sont considérablement assouplies. Par contre, dans l'autre partie restée encore très authentique et traditionnelle, que je recommande, quelques villages appliquent encore des règles strictes. Se renseigner peut éviter des ennuis avec les chefs coutumiers, une amende ou une confiscation du matériel n'étant pas à exclure.
Deuxième comportement à appliquer partout sur les îles, pour faire des photos de personnes: toujours demander l'autorisation. A part les mamies, qui refusent presque toujours*3, généralement les femmes et les enfants acceptent, mais d'une drôle de façon. Il ne vous sera pas répondu "si" en espagnol ou encore "eye" en kuna mais par le sempiternel "ouane dâllar". Ai-je besoin de traduire?
Il peut parfois se produire des situations délicates, j'en ai connu! Par exemple, tu fais une photo d'ensemble d'une allée bordée de huttes et là, soudainement, une femme que tu n'avais pas remarquée se dirige vers toi en gueulant le fameux "ouane dallar, ouane dâllar!" répété à l'envi. Sur une pirogue, tu passes le long d'un village et tu prends une photo du rivage, cela peut aussi déclencher une vive réaction de riverains mécontents.
Autre situation fréquente, des gamins se prennent au jeu et acceptent en jouant une série de photos juste pour se voir après sur le petit écran de contrôle, jusqu'au moment où une maman s'en rend compte et vient vers toi avec sa sérénade de "ouane dâlar" vindicatifs.
Un bon conseil, si l'on veut faire une photo, mieux vaut essayer d'établir un contact avec la personne, quelques mots, des sourires échangés, un geste de connivence suffiront pour que cela se passe de façon détendue. Si vous séjournez assez longtemps pour créer des liens avec quelques familles, alors bien sûr, il ne sera plus question de la petite taxe.
Un p'tit tuyau, pour la route. Arriver à faire un portrait d'une mamie, ce n'est pas du millefeuille. Elle ne parle que le kuna mais elle à compris ta requête mimée et son geste à elle se traduit aisément par: c'est hors de question! Alors, une petite méthode personnelle qui fonctionne parfois: s'il y a un bébé qui semble être une descendance sienne, tu cherches à t'adresser à une ado de la famille. Elle, elle a appris l'espagnol à l'école, si toi tu peux aligner deux ou trois paroles, fais lui comprendre (le Mime Marceau aurait fait ça très bien aussi) que tu aimerais bien une photo du bébé dans les bras de sa grand-mère. Et là, parfois un miracle se produit, la mamie se laisse attendrir… mais soyez sans crainte, elle n'oubliera pas pour autant le "ouane dâllar"…*4
Retour sur l'introduction de la série d'articles
Notes:
*1- La production de Thalassa ou encore Didier Regnier (C'est au programme), pour ne citer qu'eux, ont eu de sérieux désagréments pour avoir voulu passer outre.
*2- Kuna Yala, c'est le territoire autonome des Kunas. Depuis 2010, s'écrit ici au Panama Guna Yala, voir article.
*3- voir article
*4- Pour évoquer de façon un peu abrupte ce petit billet réclamé: un dollar c'est le revenu moyen quotidien d'un sixième des Panaméens! Comme par hasard la quasi totalité des indigènes sont dans cette catégorie de la population… Alors, quand on ne fait que les croiser, acheter un objet artisanal authentique ou encore payer le "ouane dâlar" ça rend assurément service.