Chronique de la naissance annoncée du blog
A cette époque, et déjà depuis quelques années, le cap de la cinquantaine a été doublé, la nouvelle ligne de vie est balisée de questions existentielles. Il va falloir y répondre, lucide.
Les tracasseries administratives, les tirages de maillot des représentants syndicaux et autres pressions fiscales ont bouffé peu à peu le plaisir d’entreprendre, de créer et de diriger. Est-ce ici que je trouverai un sens à ma vie ? La réponse vint, brutale : non ! Bernard Moitessier ce grand souffleur de rêves, gonfle souvent mes voiles nocturnes. Un matin, au plafond, ce lieu magique où se tracent nos plus beaux voyages, un mot bien visible, une évidence : partir !
Baptiser un vieux voilier qui, posé à terre, roupille les ailes coupées. Nous l’appelleront Txango*1. Vite lui rendre son besoin de mer, amical, il le partagera avec moi. Pressés, comme enfants au pied de l’arbre illuminé, lui et moi venons à l’eau. Méditerranée, janvier 98, dure école pour un novice. Eder notre fidèle montagnard pyrénéen, qui vient de souffler ses sept bougies, a sauté à bord. Coco, ma compagne, nous rejoindra au fil des escales plus chaleureuses.
Il n’y a pas de plan de vol. Faisons confiance aux dieux de la mer et du vent. Quel est ce chant qui court sur les vagues ? Des sirènes ? Non, "Finir pêcheur" la belle chanson de Gérard Manset. Oui, oui, c’est ça… aller vers ces riverains d’îles ou de terres, aux yeux plissés, étoilés de sel et de soleil. Ces marins que leurs pirogues approchent de l’horizon, chaque jour un peu, mais sans jamais les y mener. Ils me diront la simplicité, la douleur parfois, de leur vie et en échange me demanderont de raconter ce qui se trouve derrière la ligne où se mêlent les bleus.
Marguerite Yourcenar*2 a écrit: "Le véritable lieu de naissance est celui où l’on a porté pour la première fois un coup d’œil intelligent sur sa vie". Ma seconde vie, effectivement, est née là au milieu de l’Atlantique, le 8 mai 1999. Solitaire, mais Eder, Txango, la mer et les étoiles étaient là pour partager cette journée plus que magique. Essentielle aussi.
Deux ans plus tard, Txango qui revient par sauts de puces du Canada, pose son ancre de hasard près d’un îlot désert de l’archipel des San Blas. Début d’une aventure imprévue de trois ans, faite de rencontres, d’échanges avec les amérindiens Kunas et passée à partager les richesses de nos cœurs de marins.
Bougies! Eder a quinze ans, pour cadeau, le petit jardin d’une maisonnette de pêcheur à Portobelo. Six mois plus tard, fatigué de tant de gambades montagnardes et marines, il ira retrouver ses copains, tous les dauphins de notre beau voyage, dans la baie que Christophe Colomb qualifiait de "Plus belle chose que vous ayez jamais vue". Depuis sept ans, notre vie s’écoule ici au Panamá, le pays et ses habitants nous ont séduits.
Un matin, sur une plage des San Blas, une graine échouée s’était prêtée à ma curiosité. Déshabillée, elle ressemblait à de l’ivoire, armé d’un outil improbable, j’en ai fait un petit pendentif. Maintenant, Coco et moi, dans notre petit atelier, essayons de créer assez de ces petites choses en tagüa pour satisfaire trois boutiques de la capitale et notre show-room local d’artisanat indigène.
Désirant faire partager les connaissances acquises au cours de ces dix années panaméennes, j’ai publié deux petits bouquins, "Molas et traditions Kunas" et "Portobelo, les vieux canons racontent…" Suite à ça, Sandrine Pia-Casto qui dirige son agence de voyage réceptive à Panamá, m’a gentiment proposé d’accompagner des voyageurs. J’ai trouvé qu’il y avait là l’occasion de partager mes coups de cœur pour le pays qui m’accueille en ce moment, et puis les voyageurs, j’aime tant partager avec eux…
Si je dois un jour trouver un sens à ma vie, je pense en être plus proche ici. Les "péchous" de Portobelo, la magique forêt équatoriale, les ruines des traces oubliées par les conquistadors, les communautés indigènes et les gens du voyages qui parfois posent leur sac à dos près d’un café qui parfume notre terrasse, c’est déjà pas mal pour remplir quelques années, pour se sentir vivant. Non ?
Je finirai avec un petit clin d’œil au semeur de tant de rêves de mer et de voyages,
Bernard, grand merci !
"Salut et fraternité" à tous.*3
Note concernant cet article: remise à jour de la page publiée dans la rubrique Accueil
*1- Voyage, balade, dans la langue de mes ancêtres
*2- Marguerite Yourcenar, in Mémoires d'Hadrien
*3- Ne pas échapper à la lecture du dernier livre de Bernard Moitessier: Tamata et l'Alliance (Editions Arthaud 1993)
Photo 1: Un des paisibles mouillages de Txango. ml
Photo 2: Transat en double. ml
Photo 3: San Blas, pirogues au repos. ml
Photo 4: Bernard Moitessier